Analyse de Gargantua, chapitre 15, Comment Gargantua fut mis sous d’autres pédagogues
En quoi ce texte questionne-t-il ce qu’est une bonne éducation ?
I) L’éloge de Gargantua prononcé par Eudémon
Le narrateur souligne la bonne éducation d’Eudémon en précisant qu’il demande la permission de prendre la parole : “Eudémon, demandant la permission du vice-roi son maître”.
Le discours d’Eudémon révèle qu’il est un bon orateur car son éloge est très structuré. Il y a un commencement (“Il commença”), une fin (“enfin”) et un développement organisé en cinq parties ("premièrement", "deuxièmement", "troisièmement", "quatrièmement", "cinquièmement").
La dernière étape du discours est particulièrement détaillée car Eudémon cherche à plaire à Gargantua en l’accablant d'éloges, en le flattant au-delà du raisonnable dans le but de recevoir une rétribution et de garder son travail.
François Rabelais critique l'éducation d’Eudémon car cette dernière lui a appris à mentir et à être un parfait hypocrite, ce qui est contraire à l'idéal humaniste.
II) Eloge d’Eudémon, blâme de Gargantua
Le narrateur met en valeur l'éloquence d’Eudémon en détaillant ses qualités : “Toute cette déclaration fut prononcée par lui avec des gestes si appropriés, une élocution si distincte, une voix si pleine d'éloquence, un langage si fleuri, et en un si bon latin”.
Puis, en le comparant à tous les grands orateurs du passé, il fait d’Eudémon un modèle humaniste (“et en un si bon latin qu'il ressemblait plus à un Gracchus, à un Cicéron ou à un Paul-Emile du temps passé qu'à un jeune homme de ce siècle”).
Cependant, cette comparaison avec les orateurs de l’antiquité est ambigüe car il utilise son éloquence à des fins personnelles alors que l’art oratoire devrait être mis au service des autres.
La chute du texte est comique parce que l'éloquence du valet a rendu le prince muet, ce qui est le résultat inverse à celui escompté. Le prince est même ridiculisé puisque le narrateur le compare à une vache (“se mit à pleurer comme une vache”). Le lexique était mélioratif pour décrire Eudémon mais il devient scatologique pour parler du jeune prince et souligner son mutisme : “et il ne fut pas possible de tirer de lui une parole, pas plus qu'un pet d'un âne mort.”
Ainsi, ce texte questionne ce qu’est une bonne éducation car il met en comparaison l'éducation humaniste d’Eudémon, qui a fait de lui un orateur performant, et celle que Gargantua a reçue des sophistes qui ne l’ont pas du tout fait progresser. Rabelais défend dans ce texte une éducation humaniste qui s’inspire de l’art oratoire de l'antiquité mais en l’utilisant à des fins pures et sincères, contrairement à Eudémon qui fait mauvais usage de ses connaissances en se montrant hypocrite. Une bonne démonstration de son savoir oratoire aurait été de faire un éloge sincère de Gargantua en soulignant ses qualités véritables, ce qui l’aurait encouragé à prendre la parole après lui pour continuer la discussion (disputatio en latin).
Le narrateur met en avant l'éducation exemplaire d'Eudémon par sa présentation physique et comportementale. Eudémon est décrit comme étant "bien peigné, si bien tiré, si bien épousseté" et possédant un maintien si élégant qu'il ressemble à un "angeot qu'à un homme". Ces détails soulignent non seulement sa bonne éducation, mais aussi sa noblesse et son savoir-vivre. Le contraste avec Gargantua, qui pleure comme une vache à la fin du texte, renforce l'image d'Eudémon en tant que modèle de bienséance.
Eudémon démontre ses talents d'orateur à travers son discours structuré et éloquent. Il commence par louer les vertus de Gargantua, enchaîne avec ses bonnes mœurs, sa noblesse, et termine par sa beauté corporelle. Eudémon utilise une série de compliments bien orchestrés pour capter l'attention de son auditoire et maintenir une allure solennelle. Son langage est également riche et bien articulé, indiquant une maîtrise parfaite de la rhétorique.
L'étape du discours où Eudémon exhorte Gargantua à révérer son père est particulièrement détaillée. Il utilise des gestes adaptés, une prononciation distincte, une voix éloquente et un langage orné et bien latinisé. Ces détails sont soulignés pour montrer non seulement la sophistication de l'éducation d'Eudémon, mais aussi pour critiquer implicitement l'éducation traditionnelle qui se focalise sur la forme plutôt que sur le fond. François Rabelais semble ici tourner en dérision ces méthodes éducatives superficielles.
François Rabelais semble critiquer l'éducation de ce jeune garçon en montrant qu'elle produit des individus qui maîtrisent l'art de la parole sans pour autant posséder un véritable fond intellectuel ou moral. Eudémon, bien que capable de produire un discours éloquent, le fait de manière mécanique et superficielle, ce qui laisse entendre que cette éducation valorise l'apparence et la performance au détriment de la pensée critique et de la profondeur intellectuelle.
Le narrateur met en valeur l'éloquence d'Eudémon en décrivant minutieusement sa prestation orale. Il souligne l'adaptation des gestes, la prononciation distincte, et la voix éloquente d'Eudémon. Le langage de ce dernier est décrit comme orné et doté d'une bonne latinité, ce qui le fait ressembler à un orateur de l'Antiquité, tel qu'un Gracchus ou un Cicéron. Ces éléments indiquent une maîtrise complète de l'art oratoire, positionnant Eudémon comme un modèle de l'éloquence.
La comparaison avec des figures de l'Antiquité comme Gracchus, Cicéron et Émilius place Eudémon dans la lignée des grands orateurs humanistes, valorisant la culture classique et l'art de la parole. Cette comparaison le présente comme un modèle à suivre, doté de sagesse et de savoir. Cependant, cette admiration peut aussi paraître ambiguë, car elle met en lumière le décalage entre l'apparence et la réalité. L'éducation humaniste de Rabelais valorise la profondeur de la pensée et l'authenticité, tandis qu'Eudémon semble maîtriser la forme sans nécessairement posséder le fond, soulevant ainsi une critique de l'éducation superficielle.
La chute du texte est comique par le contraste saisissant entre l'éloquence parfaite d'Eudémon et la réaction de Gargantua. Alors qu'Eudémon termine son discours de manière magistrale, Gargantua, incapable de répondre avec autant d'éloquence, se met à pleurer comme une vache, se cache le visage de son bonnet et ne parvient même pas à prononcer un mot. Cette réaction inattendue et exagérée crée un effet comique en soulignant l'incapacité de Gargantua à correspondre aux attentes créées par le discours d'Eudémon.
Le narrateur renforce le comique en jouant sur le contraste entre Eudémon et Gargantua. Eudémon est décrit avec des détails minutieux mettant en avant sa perfection physique et intellectuelle, tandis que Gargantua est dépeint de manière grotesque et maladroite. Les échos entre la sophistication d'Eudémon et la simplicité de Gargantua accentuent le décalage entre les deux personnages. Cette juxtaposition exacerbe le ridicule de Gargantua et met en relief l'artificialité des louanges accordées à Eudémon, créant ainsi une satire de l'éducation et des attentes sociales.
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