Parcours « Rire et savoir ». Analyse de La Princesse de Babylone de Voltaire, chapitre 3. L’utopie des Gangarides
De “Son pays, madame, est celui des Gangarides” à “Nous avons surtout des perroquets qui prêchent à merveille”.
Introduction :
Nous sommes au chapitre III du conte philosophique La Princesse de Babylone de Voltaire publié en 1768. Voltaire, né en 1694 et mort en 1778, est un philosophe des Lumières, qui, s’est souvent servi du conte philosophique pour dénoncer les travers de la société que ce soit dans le domaine politique, moral, ou religieux. Dans ce conte philosophique, l’auteur met en scène Formosante, une princesse qui va voyager à la recherche de son bien-aimé Amazan et permettre de comparer divers systèmes politiques. Dans l’extrait étudié, Formosante n’a pas encore entrepris son périple. Amazan a réussi les épreuves imposées par Bélus, le père de Formosante, pour épouser sa fille. Rappelé auprès de son père, il a dû partir très vite mais a laissé en cadeau un phénix qui ne le quitte jamais. Un soir, Formosante désespérée de ce départ, voit le phénix prendre la parole. Il va évoquer la nation d’Amazan, les Gangarides, ce qui est l’occasion pour Voltaire, dix ans après Candide de présenter un modèle utopique.
I) Un monde utopique
Les chiffres et les quantités indiquent des proportions considérables, ce qui est l’une des caractéristiques de l’utopie. Tout y est démultiplié: les richesses agricoles (“des troupeaux innombrables” à la ligne 561), l’importance démesurée des armées attaquant les Gangarides (“armées innombrables” à la ligne 572, “dix mille éléphants” à la ligne 574, “un million de guerriers” à la ligne 574, “six cent mille hommes” à la ligne 579). Dans ce monde idéal, il est fait allusion aux richesses matérielles comme “leur laine [...] l’Orient” (l.563 à 565), “la terre des Gangarides [...] désirs de l’homme” (l.565-566), “les moissons de riz” (l.578), “végétaux [...] nature” (l.582), “ces gros diamants [...] mine” (l.566 à 568). On remarque que la place de l’agriculture est essentielle car elle est nourricière. Le fait que les Gangarides soient végétariens suggère leur pacifisme. Ne tuant pas les animaux, ils ne tuent pas non plus les hommes, contrairement aux autres hommes: “la principale [...] frères” (l.585-586). Le pronom “on” est souvent répété des lignes 572 à 592 et désigne les Gangarides. Cela met en évidence les valeurs collectives de ce peuple: ils sont égaux, solidaires, unis. D’autres expressions vont dans le même sens: “aime trop ses compatriotes” (l.554), “nés égaux” (l.560), “son semblable” (l.563), “leurs frères” (l.586). Le Dieu des Gangarides ressemble à celui des déistes: “nous remercions [...] faits” (l.602-603). La tolérance a une place centrale. Elle s’exerce à l’égard des animaux, mais aussi des ennemis vaincus: “on employa [...] maladie” (l.587-588). Les défauts de ces hommes sont nommés “maladie” ou “démence” (l.585).
II) Les éléments du cadre spatio-temporel
L’indication spatiale “la rive orientale du Gange” (l.552) fournit deux éléments essentiels. Le nom du fleuve est répété trois fois dans l’extrait et il donne son nom aux habitants “les Gangarides” (l.551). L’adjectif “oriental” décline le mot Orient et symbolise à la fois un idéal de luxe et de spiritualité. On a donc un cadre spatial réel. On relève peu d’indications temporelles. On a quelques précisions chronologiques qui restent très floues: “il y a environ deux siècles” (l.572), “depuis ce temps” (l.593). Le hors-temps est une caractéristique de l’utopie. Différents animaux sont mentionnés, des animaux réels: “moutons” (l.557), “éléphants” (l.575), mais aussi des animaux merveilleux comme les “licornes” (l.568). Les licornes ont des qualités supérieures, comme le prouve l’emploi de superlatif “c’est le plus bel animal [...] la Terre” (l.569-570), elles parlent et réfléchissent: “ayant pris l’avis des licornes” (l.591). Les animaux sont les égaux des hommes comme le montrent les lieux qui leur sont réservés lors des cérémonies religieuses: “tous les oiseaux [...] pelouse” (l.601-602). Ce sont même des “perroquets” (l.603) qui sont chargés de transmettre la parole divine. Les animaux sont donc les “semblables” (l.563) des hommes. C’est pourquoi ils ne peuvent être mangés: “on ne les tue jamais” (l.562), et que les Gangarides sont végétariens (l.582). Dans ce passage, on évoque aussi les habitants , les Gangarides. C’est un “peuple vertueux et invincible” (l.551-552). Leur invincibilité est confirmée par le décalage entre le nombre de Gangarides qu’il faut pour contrer une armée: “Il suffirait de [...] innombrables” (l.570-572). La métaphore hyperbolique “les guerriers tombaient [...] de l’Orient” (l.576 à 579) suggère leur courage au combat . Quant à la vertu, elle est montrée dans l’absence de hiérarchie (l.560), dans leur générosité à l’égard de l’ennemi (l.588 et 591).
III) Les critiques de Voltaire
L’allusion aux bergers de Babylone renvoie à la France. Voltaire dénonce ici la misère du peuple “à peine de lambeaux déchirés” (l.556), “gémissant [...] pauvreté” (l.558). Cette pauvreté est due aux salaires de misère et aux excès de l’impôt (l.559). La possibilité de se nourrir abondamment est au centre de l’utopie des Gangarides. Le Gange fertilise la terre des Gangarides qui produit en abondance: “pour nourrir tout ce qui respire” (l.582). Misère et Famine sont donc écartées. Voltaire montre ici que pour sa survie, son confort et son progrès, il est fondamental qu’un peuple soit correctement alimenté. Voltaire critique aussi la folie des hommes. Ainsi le roi des Indes représente l’orgueil à l’origine de bien des guerres “fut assez fou [...] nation” (l.573). Voltaire justifie la folie des hommes par leur alimentation riche en viande et en alcool. Cette mauvaise hygiène de vie a, pour lui, des conséquences directes sur leurs comportements: “les hommes alimentés [...] différents” (l.583 à 585). Plusieurs termes péjoratifs montrent leur manque de bon sens: “fous” (l.584), “démence” (l.585), “fureur” (l.586), “verser [...] frères” (l.586), “dévaster [...] cimetières” (l.587). Voltaire va également critiquer la guerre. Elle est montrée comme très meurtrière (l.586-587) et injustifiée à part l’orgueil et elle prouve ainsi la bêtise des hommes: “sotte cour”, “imbéciles guerriers” (l.592). La monarchie est aussi critiquée car elle est fondée sur la hiérarchie. Voltaire propose un renversement des valeurs en présentant l’égalité entre les hommes comme supérieure à une hiérarchie que rien ne justifie: “il n’est pas roi [...] l’être” (l.553-554). De même la distance entre le roi et ses sujets est implicitement dénoncée car Amazan refuserait d’être roi car “il aime trop ses compatriotes” (l.554). La religion n’est pas oubliée ici. Voltaire critique ouvertement les prêtres en les identifiant à des “perroquets” (l.602). Pour Voltaire, les prêtres ne font que répéter des paroles et textes dont ils ne comprennent pas le sens.
Conclusion :
A travers le commentaire de cet extrait, nous avons pu découvrir la manière dont Voltaire décrivait un monde utopique où hommes et animaux sont égaux, où les richesses matérielles permettent la vertu et la tolérance. Ce long discours du phoénix permet à Voltaire de transmettre ses idées en matière de paix, de religion et d’économie. Ce passage n’est pas sans rappeler les chapitres 17 et 18 de Candide où Voltaire décrit l’Eldorado, monde idéal où l’on embrasse le roi et où les cailloux des chemins sont des diamants.
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