Analyse de Madame Bovary de Flaubert. La mort d’Emma
Extrait de la troisième partie, chapitre 8. De «Cependant elle n’était plus aussi pâle» à «Elle n’existait plus.»
Comment Flaubert, dans ce roman, crée t-il une tragédie remplie d’émotion tout en se montrant ironique envers son personnage ?
I) Une tragédie
Dans cet extrait de Madame Bovary, Flaubert met en scène la mort d' Emma en faisant d’elle une héroïne tragique. En effet il y a deux dimensions tragiques, la première est la cause de la mort d’Emma, celle-ci prend de l'arsenic sa mort est incontournable elle ne peut plus retourner en arrière, le destin fait qu’elle va mourir. La seconde dimension est celle de la cause de sa mort, c’est sa passion pour l’amour qui la pousse à se suicider cette force dont elle n’a pas pu se défaire. Charles, malgré tout le mal que lui à fait sa femme l’aime toujours, “Il ne fallait peut-être pas se désespérer, pensa-t-il”. La souffrance d’Emma est décrite de façon réaliste : “Sa poitrine aussitôt se mit à haleter rapidement. La langue tout entière lui sortit hors de la bouche ; ses yeux, en roulant, pâlissaient comme deux globes de lampe qui s’éteignent, à la croire déjà morte, sans l’effrayante accélération de ses côtes, secouées par un souffle furieux, comme si l’âme eût fait des bonds pour se détacher”, Flaubert met en scène la mort de son personnage principal comme dans une tragédie et la comparaison avec les globes de lampe montre le topos des yeux similaires à des miroirs de l’âme. On lit une forte différence de réaction parmi les personnages présents : “Félicité s’agenouilla devant le crucifix, et le pharmacien lui-même fléchit un peu les jarrets, tandis que M. Canivet regardait vaguement sur la place”, Félicité prie pour sa maîtresse avec la foi simple et vraie d’une domestique, le pharmacien athé est impressionné par la mort d’Emma et M. Canivet semble impuissant. “Charles était de l’autre côté, à genoux, les bras étendus vers Emma” : Même à sa mort, il fait un mouvement vers elle, alors qu’elle ne l’a jamais fait pour lui. Charles qui est toujours éperdument amoureux d’Emma semble mourir avec elle “Il avait pris ses mains et il les serrait, tressaillant à chaque battement de son cœur” . Il est décrit un resserrement tragique du temps qui nous montre que la mort se rapproche “À mesure que le râle devenait plus fort, l’ecclésiastique précipitait ses oraisons”. Il y a un champ lexical du désespoir “elles se mêlaient aux sanglots étouffés de Bovary”, Charles a aimé Emma aussi fort que les héros des romans de Walter Scott qu’elle lisait mais elle ne s’en n’est pas rendue compte et elle est allée chercher ailleurs ce que son mari voulait lui donner chaque jour. Toute sa vie est fondée sur une incompréhension. Le destin est décrit de différentes façons , "quelquefois tout semblait disparaître dans le sourd murmure des syllabes latines, qui tintaient comme un glas de cloche”, le glas sonne avant même qu’elle ait expiré pour renforcer le tragique de sa mort. “Tout à coup, on entendit sur le trottoir un bruit de gros sabots, avec le frôlement d’un bâton ; et une voix s’éleva, une voix rauque, qui chantait” : Comme dans les tragédies antiques, l’aveugle est une figure du destin qui vient “faire la morale” à Emma au moment de sa mort. Certains éléments tels que la description de l'agonie (“Emma se releva comme un cadavre que l’on galvanise, les cheveux dénoués, la prunelle fixe, béante”) et de l’aveugle (“Emma se mit à rire, d’un rire atroce, frénétique, désespéré, croyant voir la face hideuse du misérable, qui se dressait dans les ténèbres éternelles comme un épouvantement.”) se rapproche du genre fantastique en introduisant des éléments d’horreur presque surnaturels. À la fin de l’extrait les phrases deviennent plus courtes : “Une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous s’approchèrent. Elle n’existait plus.”, cela montre la fin brusque de l’agonie et la vie d’Emma.
II) L’ironie du narrateur
Mais dans cet extrait plein de souffrance, Flaubert nous transmet une certaine ironie. Celui-ci commence par un côté anticlérical : “comme si le sacrement l’eût guérie”. Emma n’a jamais ressenti de compassion dans son coeur et ne meurt qu’une fois avoir entendu l’aveugle. Ainsi, le lecteur comprend en même temps qu’Emma a eu une vie malheureuse parce que son coeur était vide d’amour : “il expliqua, même à Bovary que le Seigneur, quelquefois, prolongeait l’existence des personnes lorsqu’il le jugeait convenable pour leur salut”. Nous pourrions penser que pour Emma devenir laide est pire que mourir, “elle demanda son miroir, et elle resta penchée dessus quelque temps, jusqu’au moment où de grosses larmes lui découlèrent des yeux”. Le narrateur compare Emma Bovary à une ruine, évoquant sa déchéance : “comme au contrecoup d’une ruine qui tombe”, le verbe tomber montre sa chute morale et sociale durant tout le roman. La mort d’Emma est interrompue par l’aveugle qui passe sous la fenêtre à ce moment crucial pour lui rappeler son manque de compassion envers lui lorsqu’elle l’a vu pour la première fois mendier à la porte de son fiacre à Rouan alors qu’elle dépensait l’argent de Charles avec son amant Rodolphe, “Tout à coup, on entendit sur le trottoir un bruit de gros sabots, avec le frôlement d’un bâton ; et une voix s’éleva, une voix rauque, qui chantait” : l’aveugle chante, ce qui contraste violemment avec la mort qui est en train de se jouer dans la pièce. Emma avec une partie de la chanson de l’aveugle se souvient de son enfance où elle rêvait de prince charmant, prince qu’elle n’a pas su voir en Charles. “Souvent la chaleur d’un beau jour Fait rêver fillette à l’amour.”. La chanson de l’aveugle semble s'adresser directement à Emma: “Pour amasser diligemment Les épis que la faux moissonne, Ma Nanette va s’inclinant Vers le sillon qui nous les donne”. Lors de sa dernière parole, elle se rappelle de son erreur: “L’Aveugle s’écria-t-elle”, lorsqu’elle a repoussé violemment l’aveugle sans aucune charité alors que les aveugles n’ayant pas la possibilité de travailler étaient obligés de mendier pour survivre misérablement. Or maintenant Emma se rend compte que le plus misérable des deux n’est pas celui qu’elle croyait. L’aveugle lui rappelle qu’elle a été infidèle en particulier le jour où elle l’a repoussé: “Il souffla bien fort ce jour-là, Et le jupon court s’envola !”, car elle se rendait à l’hôtel avec son amant et qu’elle est déshonorée pour avoir soulevé “son jupon”.
Conclusion :
Ainsi, dans ce texte, Flaubert raconte la mort de son personnage principal sous la forme d’un récit tragique teinté d’ironie qui résume à lui seul l’ensemble du roman et en démontre toute la philosophie.
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