Analyse de Manon Lescaut, La première rencontre, un coup de foudre
Texte
Mais il en resta une, fort jeune, qui s’arrêta seule dans la cour pendant qu’un homme d’un âge avancé, qui paraissait lui servir de conducteur s’empressait pour faire tirer son équipage des paniers. Elle me parut si charmante que moi, qui n’avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille avec un peu d’attention, moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d’un coup jusqu’au transport. J’avais le défaut d’être excessivement timide et facile à déconcerter ; mais loin d’être arrêté alors par cette faiblesse, je m’avançai vers la maîtresse de mon cœur. Quoiqu’elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut mes politesses sans paraître embarrassée. Je lui demandai ce qui l’amenait à Amiens et si elle y avait quelques personnes de connaissance. Elle me répondit ingénument qu’elle y était envoyée par ses parents pour être religieuse. L’amour me rendait déjà si éclairé, depuis un moment qu’il était dans mon cœur, que je regardai ce dessein comme un coup mortel pour mes désirs. Je lui parlai d’une manière qui lui fit comprendre mes sentiments, car elle était bien plus expérimentée que moi. C’était malgré elle qu’on l’envoyait au couvent, pour arrêter sans doute son penchant au plaisir qui s’était déjà déclaré et qui a causé, dans la suite, tous ses malheurs et les miens. Je combattis la cruelle intention de ses parents par toutes les raisons que mon amour naissant et mon éloquence scolastique purent me suggérer Elle n’affecta ni rigueur ni dédain. Elle me dit, après un moment de silence, qu’elle ne prévoyait que trop qu’elle allait être malheureuse, mais que c’était apparemment la volonté du Ciel, puisqu’il ne lui laissait nul moyen de l’éviter. La douceur de ses regards, un air charmant de tristesse en prononçant ces paroles, ou plutôt, l’ascendant de ma destinée qui m’entraînait à ma perte, ne me permirent pas de balancer un moment sur ma réponse.
Je l’assurai que, si elle voulait faire quelque fond sur mon honneur et sur la tendresse infinie qu’elle m’inspirait déjà, j’emploierais ma vie pour la délivrer de la tyrannie de ses parents, et pour la rendre heureuse. Je me suis étonné mille fois, en y réfléchissant, d’où me venait alors tant de hardiesse et de facilité à m’exprimer ; mais on ne ferait pas une divinité de l’amour, s’il n’opérait souvent des prodiges.
Etude linéaire 1
La rencontre entre des Grieux et Manon est marquée par un coup de foudre qui détourne immédiatement des Grieux de ses engagements précédents, y compris son amitié avec Tiberge. Cet amour instantané et profond prend le dessus sur toutes ses autres considérations, le poussant à agir de manière impulsive. Le texte montre comment des Grieux, habituellement sage et réservé, est transformé par cette passion soudaine, abandonnant ses devoirs et son ami pour suivre Manon. Cet acte de dévotion et d’abandon de ses anciennes relations contribue à le marginaliser, car il se détourne des attentes sociales et des relations stables qu'il entretenait, notamment avec Tiberge, qui représentait une figure de raison et de modération dans sa vie.
Des Grieux idéalise Manon dès leur première rencontre en la trouvant "charmante" et en étant immédiatement enflammé par un amour intense et romantique. Il est frappé par sa beauté et sa grâce, et son discours révèle une vision idéalisée de la jeune fille. Il perçoit même sa destinée religieuse comme une tragédie personnelle, et son désir de la sauver de cette "tyrannie" montre qu'il la voit comme une victime innocente et pure, méritant d'être protégée et aimée. Cette idéalisation est évidente dans la manière dont il est prêt à sacrifier sa propre vie pour son bonheur, interprétant ses traits et son destin d'une manière exagérément romantique.
Des Grieux fait l’objet d’un coup de foudre car il est subitement et profondément attiré par Manon, une émotion si intense qu’elle lui fait oublier sa timidité naturelle. Le texte décrit comment il est "enflammé tout d’un coup jusqu’au transport", une réaction typique du coup de foudre où l'attirance et le désir sont immédiats et puissants. Cette transformation rapide de ses émotions et son passage à l'action, en s'approchant immédiatement de Manon malgré sa réserve habituelle, illustrent bien le coup de foudre.
Des Grieux montre son inexpérience amoureuse et son attachement aux apparences en se laissant entièrement guider par la beauté et le charme de Manon sans connaître véritablement sa personnalité ou son passé. Son coup de foudre est basé uniquement sur une attraction physique immédiate, sans réflexion ni connaissance approfondie de la jeune fille. Cette réaction impulsive et passionnée démontre qu'il est aveuglé par l'apparence de Manon et par une vision romantique idéalisée de l'amour, sans considération pour les réalités et les complexités de la relation.
Avant sa rencontre avec Manon, le narrateur se décrit comme sage, réservé et admiré pour sa retenue. Il souligne sa timidité et sa propension à se laisser facilement déconcerter. Cependant, l’amour qu’il ressent pour Manon provoque un changement radical en lui, le transformant en une personne audacieuse et déterminée. Il surmonte sa timidité et son manque de confiance pour approcher Manon et lui déclarer ses sentiments. Ce changement est si profond qu’il en est lui-même étonné rétrospectivement, attribuant cette transformation à la puissance prodigieuse de l’amour.
Le narrateur oppose les deux personnages, des Grieux et Manon, sur le plan du caractère en soulignant leur différence d'expérience et de réaction face à leurs sentiments. Des Grieux se décrit comme un jeune homme timide et réservé, qui n'a jamais porté une attention particulière aux filles avant de rencontrer Manon. En contraste, Manon est décrite comme plus expérimentée, bien qu'elle soit plus jeune que lui. Elle reçoit ses politesses sans embarras et comprend immédiatement les sentiments de des Grieux. Cette différence de maturité et d'expérience amoureuse montre que Manon, malgré son jeune âge, est plus à l'aise et peut-être plus désillusionnée par la vie, tandis que des Grieux est naïf et romantique.
La phrase signifie que l'amour a apporté à des Grieux une clarté et une perspicacité nouvelles, lui permettant de percevoir immédiatement les implications tragiques du destin de Manon. Des Grieux comprend que l'envoi de Manon au couvent est une menace directe à ses désirs amoureux naissants. Il s'imagine alors que cet obstacle est insurmontable et destructeur pour ses aspirations à une vie heureuse avec elle. En d'autres termes, il voit cette décision parentale comme une condamnation à l'échec de son amour.
Selon le narrateur, Manon est dirigée vers la vie religieuse parce que ses parents veulent contrôler son penchant pour le plaisir et ses inclinations naturelles. Ils espèrent que l'envoi au couvent réfrénera ses désirs et la détournera de comportements jugés inappropriés. Le narrateur perçoit cette décision comme une forme de tyrannie parentale visant à empêcher Manon de suivre ses propres aspirations et de vivre librement.
Manon peut être vue comme manipulatrice dans la mesure où elle utilise son charme et sa maîtrise émotionnelle pour influencer des Grieux. Lorsqu'elle répond à ses avances, elle ne montre ni rigueur ni dédain, mais adopte un air de tristesse charmant et des regards doux, ce qui suscite la compassion et l'engagement de des Grieux. Sa manière de parler de son destin avec une certaine résignation et tristesse peut être interprétée comme une manière de manipuler les sentiments de des Grieux, le poussant à vouloir la sauver et ainsi renforcer son attachement à elle.
Le début de l'extrait brosse le portrait d'une jeune fille charmante et expérimentée, malgré son jeune âge. Manon est décrite comme ayant une beauté captivante et un air assuré qui contraste avec la timidité initiale de des Grieux. Elle comprend rapidement les sentiments de des Grieux et utilise son charme et sa tristesse apparente pour attirer sa sympathie et son aide. Ce portrait la montre comme une figure à la fois séduisante et manipulatrice, consciente de son pouvoir sur les autres et capable de susciter des réactions passionnées.
Les commentaires du narrateur sur l'action sont empreints de réflexions rétrospectives et d'une certaine lucidité sur ses propres sentiments et comportements. Il exprime son étonnement face à sa propre audace et attribue cette transformation à la puissance de l'amour. Ces commentaires orientent la lecture en soulignant le caractère extraordinaire de ses émotions et de ses actions, tout en préparant le lecteur à comprendre la profondeur et l'intensité de son attachement à Manon. Ils ajoutent également une dimension de fatalisme, suggérant que ces événements étaient inévitables et prédestinés.
L'expression « la volonté du Ciel » est utilisée par Manon pour exprimer une résignation face à son destin. Elle semble accepter son sort d'être envoyée au couvent comme une décision divine inéluctable, au-delà de son contrôle. Cette expression reflète une attitude fataliste et peut-être une manière de se décharger de la responsabilité de ses propres choix, en attribuant les événements à une force supérieure.
Le narrateur est fataliste dans la mesure où il interprète les événements comme étant dictés par une destinée inévitable. Il mentionne « l’ascendant de ma destinée qui m’entraînait à ma perte », suggérant qu'il voit son amour pour Manon et les conséquences qui en découlent comme prédéterminés et inéluctables. Cette perspective fataliste est renforcée par sa vision de l'amour comme une force irrésistible qui le dépasse et le contrôle.
Des Grieux promet à Manon qu'il consacrera sa vie à la délivrer de la tyrannie de ses parents et à la rendre heureuse. Cette promesse apparaît comme un signe d’étrange précipitation car elle est faite très rapidement après leur première rencontre, sans réelle connaissance de Manon et de sa situation. La rapidité avec laquelle il s'engage à une telle dévotion montre son impulsivité et son manque de discernement, caractéristiques de son amour naissant et aveugle.
L'emploi du conditionnel dans cette phrase montre que des Grieux est déjà totalement captivé par ses sentiments pour Manon. Il utilise le conditionnel pour exprimer une promesse qui dépend de l'acceptation de Manon, mais qui est formulée de manière absolue et définitive. Cette formulation conditionnelle montre qu'il est prêt à tout pour elle, plaçant son propre destin entre ses mains, ce qui témoigne de son enfermement et de son aveuglement par l'amour. Il est déjà emprisonné dans ses sentiments, prêt à agir de manière irrationnelle pour satisfaire son désir de la sauver.
À la fin du texte, le narrateur arrive à la vérité qu'il est prêt à consacrer sa vie à Manon, révélant ainsi la profondeur de son amour et de son engagement. Cette vérité préfigure les événements tragiques qui vont suivre, car elle montre que des Grieux est prêt à prendre des décisions impulsives et extrêmes par amour, ce qui mènera inévitablement à des complications et des souffrances. Son dévouement aveugle et sa détermination à sauver Manon, malgré les obstacles, annoncent une série de choix qui le conduiront à sa propre perte.
Le « je » narrant, c'est-à-dire le narrateur rétrospectif, critique implicitement la naïveté du « je » narré, c'est-à-dire le jeune des Grieux. En exprimant son étonnement rétrospectif face à son audace et en reconnaissant l’influence de l’amour comme une force prodigieuse, le narrateur montre qu'il a pris du recul et acquis de la maturité. Il reconnaît avoir été emporté par ses sentiments et son inexpérience, suggérant une critique de sa propre naïveté passée. Ce décalage entre le narrateur rétrospectif et le jeune personnage montre une évolution dans sa compréhension des événements et de ses propres émotions.
Etude linéaire 2
Le narrateur intervient pour commenter ses actions passées en adoptant un ton empreint de regret et de réflexion, comme en témoigne l'expression "Hélas !". L'écart entre le "je narré" et le "je narrant" souligne la distance temporelle et émotionnelle qui sépare le narrateur de ses souvenirs. Cela permet de renforcer l'idée que le narrateur, avec le recul, réalise les conséquences de ses choix, augmentant ainsi le poids du destin et la fatalité dans son récit.
Plusieurs détails donnent une dimension réaliste à cet épisode, notamment les descriptions précises du cadre spatio-temporel, comme l'arrivée du "coche d'Arras" et la présence de son ami Tiberge. Ces éléments ancrent la scène dans un environnement tangible et quotidien, ce qui permet au lecteur de s'immerger plus facilement dans l'action et de ressentir la vraisemblance du récit.
L'arrivée du coche constitue un élément perturbateur, car elle marque un tournant dans l'histoire. Elle interrompt la promenade anodine de Des Grieux et Tiberge, introduisant un élément imprévu qui capte l'attention du narrateur. Cette entrée soudaine du coche introduit également Manon dans la vie de Des Grieux, ouvrant ainsi la voie à une série d'événements qui vont bouleverser son existence.
Plusieurs procédés narratifs donnent l'impression que les actions s'enchaînent rapidement. D'abord, l'utilisation de phrases courtes et d'un rythme rapide renforce la sensation d'urgence. Ensuite, la description des mouvements et des décisions de Des Grieux est faite de manière concise, comme si le personnage était entraîné par une force irrésistible, soulignant ainsi la spontanéité de la rencontre.
Manon est rendue exceptionnelle à travers le regard de Des Grieux, qui la décrit avec une admiration quasi immédiate. Le contraste qu'il établit entre elle et les autres femmes présentes, ainsi que la manière dont il est instantanément captivé par son charme, suggèrent qu'elle se distingue par une beauté et une allure qui surpassent celles des autres, ce qui accentue sa singularité et son pouvoir de séduction.
Des Grieux exprime la force des émotions ressenties en se laissant emporter par une forme de transport amoureux, un état émotionnel intense. Il confesse sa fascination immédiate pour Manon, et son discours traduit un état de bouleversement intérieur profond, indiquant que ce moment marquera un point de non-retour dans sa vie.
Les paroles des personnages sont rapportées de manière directe et brève, ce qui contribue à l'impression de rapidité. L'échange entre Des Grieux et Manon est rapide et presque spontané, comme s'ils étaient tous deux poussés par une impulsion irrésistible. Cela reflète également l'attrait immédiat de Des Grieux pour Manon et son désir de la connaître rapidement.
Les informations données sur Manon dessinent effectivement l'image d'une jeune femme expérimentée en amour. Son comportement, bien que timide à première vue, révèle une certaine maîtrise des situations. Elle semble consciente de son pouvoir de séduction, et sa façon de répondre à Des Grieux sans embarras accentue l'idée qu'elle a déjà une certaine expérience des relations amoureuses.
Les obstacles qui se dressent devant Manon et Des Grieux sont à la fois sociaux et moraux. Le fait que Manon soit envoyée au couvent par ses parents est une indication de la réprobation sociale qui entoure leur relation à venir. Cela annonce également la transgression à laquelle ils vont se livrer, car ils vont braver les attentes de leurs familles et de la société pour vivre leur amour.
Dès cette première rencontre, on peut dire que Des Grieux ressent immédiatement la dimension tragique de la situation. Le narrateur laisse entendre que cette rencontre fatidique est empreinte d'une certaine fatalité, comme si Des Grieux savait, au fond de lui, que cet amour serait à la fois intense et destructeur. Cette intuition se confirme dans la suite du récit, où le destin tragique de leur relation se dévoile.
Etude linéaire 3
Les indices spatio-temporels dans la première partie de l'extrait incluent des références spécifiques à des lieux et des moments précis, comme « mon départ d'Amiens » et « la veille même de celui que je devais quitter cette ville ». Ces indications créent un cadre concret pour l'action, situant les événements dans un contexte réaliste et identifiable. L'effet produit est celui de l'immersion, permettant au lecteur de visualiser la scène avec précision et de ressentir la tension et l'anticipation de des Grieux alors qu'il se prépare à quitter Amiens et à rencontrer un personnage important.
Manon est mise en valeur par son apparition charmante et son comportement distinct. Des Grieux est immédiatement frappé par sa beauté et sa grâce, la décrivant comme « charmante ». Elle se distingue également par son attitude, qui contraste avec celle des autres femmes présentes. Tandis que les autres femmes quittent rapidement les lieux, Manon reste seule, attirant l'attention de des Grieux par son comportement et son allure. Cette mise en valeur souligne son importance dans le récit et l'effet magnétique qu'elle exerce sur des Grieux.
On peut parler d'une scène de coup de foudre car des Grieux est instantanément et intensément attiré par Manon dès le premier regard. Il exprime son admiration en termes passionnés et exagérés, se sentant « enflammé tout d'un coup jusqu'au transport ». Cette réaction soudaine et intense est caractéristique du coup de foudre, où l'amour naît de manière immédiate et irrationnelle, bouleversant celui qui en est victime.
La passion s'exprime à travers les paroles de des Grieux et les jeux de regards échangés avec Manon. Des Grieux utilise des mots chargés d'émotion et d'admiration, parlant de « transport » et de « flamme ». Les regards jouent également un rôle crucial, avec des Grieux notant la douceur et l'expression des yeux de Manon, qui le touchent profondément. Ces éléments combinés créent une atmosphère de tension romantique et d'intensité émotionnelle.
Le champ lexical des émotions et des sentiments inclut des termes comme « enflammé », « transport », « charme », « sagesse », et « retenue ». Ces mots reflètent la nature passionnée et impulsive du narrateur, des Grieux, qui est souvent gouverné par ses émotions fortes et ses réactions immédiates. Le choix de ce vocabulaire montre son caractère romantique et idéaliste, en accord avec sa personnalité telle que dépeinte dans le roman.
Les indices montrant que Manon est habituée à manipuler les hommes incluent sa réponse ingénue mais stratégique à des Grieux, sa capacité à recevoir des politesses sans embarras, et son habileté à utiliser son charme pour influencer ceux qui l'entourent. Elle sait exactement comment se comporter pour attirer et maintenir l'attention de des Grieux, ce qui suggère une expérience et une compétence dans l'art de la séduction et de la manipulation.
La ponctuation des premières phrases est marquée par des exclamations et des interrogations, reflétant l'émotion intense et l'agitation intérieure de des Grieux. Il utilise des phrases courtes et exclamatives pour exprimer ses regrets et sa surprise face aux événements. Cette ponctuation souligne son état d'esprit bouleversé et met en évidence la tension dramatique de la scène.
Cette rencontre annonce la suite du roman en établissant le thème central de la passion destructrice et de la manipulation. Elle introduit Manon comme un personnage complexe et captivant qui va profondément influencer la vie de des Grieux. La nature instantanée et intense de leur attirance préfigure les tumultes émotionnels et les conflits moraux qui marqueront leur relation tout au long de l'histoire.
Non, les souvenirs de des Grieux ne sont pas objectifs. Ils sont teintés par ses émotions et ses perspectives personnelles. Son récit est souvent marqué par l'idéalisation de Manon et la dramatisation de leurs interactions. Cette subjectivité influence la manière dont il perçoit et relate les événements, ajoutant une dimension émotionnelle et personnelle à son témoignage qui peut biaiser la réalité objective des faits.
Commentaire composé
Problématique : En quoi cette rencontre est-elle annonciatrice d’une suite tragique ?
I) Le coup de foudre
Dans cet extrait, Prévost pose les bases, les circonstances de cette rencontre amoureuse. Il commence par donner le cadre temporel : “La veille même de celui que je devais quitter cette ville”. Il pose aussi le cadre spatial : “la cour d’un hôtel à Amiens”, avec le toponyme “Amiens” et les compléments circonstanciels de lieu “jusqu’à l’hôtellerie” et “dans la cour”. Cette rencontre semble orchestrée par le destin qui va, désormais s’acharner sur Des Grieux. Le coup de foudre est annoncé par l’auteur par plusieurs procédés. D’abord par le champ lexical du regard: “nous vîmes”, “elle me parut”, “regardé”. Puis par la présence du connecteur d’opposition “mais”, qui souligne le caractère exceptionnel de la rencontre. De plus, l’auteur se concentre sur Manon Lescaut, comme nous le montre le parallélisme antithétique: “Il en sortit quelques femmes” qui s’oppose à “il en resta une”. Enfin, on remarque le champ lexical de l’amour: “enflammé”, “l’amour”, “mes désirs”, “mes sentiments”. L’instant-même du coup de foudre se situe à la moitié de l’extrait et est marqué par la phrase: “Je me trouvai enflammé tout d’un coup jusqu’au transport”. L’expression “tout d’un coup” marque la soudaineté. La métaphore du feu “enflammé” et l’hyperbole “transport” prouvent l’intensité du sentiment ressenti.
II) Le personnage de Des Grieux
Des Grieux est le narrateur de cette rencontre, comme le montre l’emploi de la première personne: “je”. Il fait donc son auto-description en se présentant comme un jeune homme: “encore moins âgée que moi”. Il évoque deux qualités: la sagesse et la retenue; qui ont l’air reconnues de tous, comme le souligne l’hyperbole: “tout le monde admirait”. En amour, il reconnaît son inexpérience soulignée par l’hyperbole : “excessivement timide” et les négations “n’avait jamais pensé” et “ne regarder une fille avec tant d’attention”. Mais cette inexpérience est tout de suite vaincue par la passion: il ne se pose aucune question, ne se livre à aucune réflexion. La périphrase hyperbolique “je m’avançais vers la maîtresse de mon coeur” désignant Manon, prouve la possession morale (“de mon coeur”) et connote la possession physique avec le mot “maîtresse”. Cette passion va faire agir Des Grieux. On remarque le verbe d’action “je m’avançai”, qui prouve que la rencontre est à l’initiative du jeune homme. Il va ensuite parler à Manon: “elle reçut mes politesses”, “demandais”, “je lui parlais d’une manière”, “elle me répondit”. Tout ceci souligne le caractère exceptionnel de l'événement car c’est à l’opposé de l’adjectif “timide” et de l’expression “facile à déconcerter”. Mais son amour pour Manon est dès le début contrarié par la raison de sa présence à Amiens: “elle y était envoyée par ses parents pour être religieuse”. L’emploi de l’hyperbole “coup mortel”, montre la réaction excessive de Des Grieux. La prolepse, à la fin de l’extrait, marquée par “dans la suite” suivie du mot “malheur”, indique que cet amour va connaître de nombreux obstacles et nous met sur le chemin d’une fin tragique annoncée par l’adjectif “mortel”.
III) Le personnage de Manon Lescaut
Le nom de la jeune fille n’est pas donné dans ce passage, ce qui la rend mystérieuse. On note toutefois une progression dans sa présentation: elle est désignée au départ par l’article indéfini “une” puis par le pronom “elle” et la périphrase “la maîtresse de mon coeur”. Manon n’est pas décrite physiquement: seul l’adjectif “charmante”, accompagné de l’intensif “si” donne un caractère hyperbolique à l’apparition de Manon. Ce choix de l’auteur laisse au lecteur le soin d’imaginer Manon. Ce qui frappe d’abord Des Grieux dans l’apparence de Manon est sa jeunesse, qui est relevée deux fois : “fort jeune” et “moins âgée que moi”. Sa situation sociale est celle d’une jeune fille issue de la petite bourgeoisie comme le connotent les termes “le coche”, et “l’hôtellerie” qui montrent que la jeune fille n’a pas de voiture particulière ni d’hôtel particulier. Enfin, le fait qu’elle soit obligée de prendre le voile est courant dans cette catégorie sociale. Son portrait moral est beaucoup plus détaillé. Malgré sa jeunesse, Manon connaît les hommes et leurs compliments, comme le montre la négation “sans paraître embarassée” et le superlatif “elle était bien plus expérimentée que moi”. Des Grieux montre donc que l’expérience amoureuse de Manon est déjà bien avancée, avec l’euphémisme “son penchant au plaisir qui s’était déjà déclaré”. La maturité sexuelle de Manon contraste donc avec la naïveté de Des Grieux, ce qui intrigue le lecteur. Cette liaison ne va pas être de tout repos, comme le prouve dans la prolepse l’emploi du verbe “causer”.
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