Analyse Des Mémoires d'outre tombe. Le récit de la naissance de Chateaubriand
Introduction :
Les Mémoires d’outre-tombe sont un récit autobiographique et historique dont Chateaubriand voulait faire un témoignage posthume, achevé en 1841. Dans cette œuvre, il retrace les épisodes principaux de son existence aventureuse. Chateaubriand livre les secrets de son inexplicable cœur, se présentant comme le véritable René. Il transforme les Mémoires en un discours funèbre. Un double thème domine : la poésie du souvenir et de la mort. L'immortalité promise par la foi chrétienne ne lui suffit pas : il veut être immortel par sa gloire, dans la mémoire des hommes.
Reprise sujet Dans cet extrait situé dans le chapitre 3 du 1er livre des Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand reconstitue pour nous les conditions dramatiques de sa naissance. Il s’agit d’un texte narratif et impressif dans lequel l’auteur cherche à faire naître chez son lecteur des émotions pathétiques. Cet extrait situé au début de l’ouvrage est une introduction à l’autobiographie de l’auteur. Il contribue à nous en définir la coloration générale marquée par les tourments du « mal du siècle ». Il nous permet enfin de découvrir la fameuse prose poétique de ce précurseur du romantisme.
Problématique : Pourquoi a-t-il décrit sa naissance alors qu’il ne peut pas s’en souvenir ? Peut-être qu’il veut montrer que son berceau porte déjà l’image de sa destinée romantique et tragique.
Plan l. 1 à 7 : la description spatio-temporelle
-l. 8 à 11 : la fureur des éléments
-l. 11 à 12 : une naissance sombre et augurale
-l. 13 à 15 : le lyrisme à travers le péjoratif
-l. 16 à 17 : la naissance de l’homme, punition pour l’auteur
I) La description spatio-temporelle l.1-7
Chateaubriand commence son récit en situant son récit dans l’espace « Saint-Malo » et le temps « équinoxe d’automne ».
Allitération en [t] « habitaient » « située » « étroite » « transformée » et en r « alors » « parents » « rue » « sombre » « étroite » « rue » son des sonorités dures. Elles montrent dès le début que sa naissance est dure, hors du commun et préparent déjà le lecteur à la violence de la nature lors de la naissance de Chateaubriand quelques lignes après.
Imparfait de description « habitaient » -- temps lointain, ce n’est pas lui qui se rappelle de ces évènements : c’est sa naissance !
Présent de description « est » x2, « aperçoit »
Le groupe nominal « les murs de la ville » et la proposition « s’étend à perte de vue » provoquent un élargissement de la vue qui contraste avec l’intimité de la naissance.
Champ lexical de la privation « sombre », « étroite », « désert », « est situé rue des juifs » sont les premiers éléments montrant que sa naissance n’est pas normale.
Malédiction : « le juif errant » « se brisant sur les écueils ».
« Extrait de baptême » souci d’exactitude, paradoxal quand on sait que ce récit n’est fondé que sur les dires de ses parents qui l’ont vu naitre.
Précision spéciale « parents » et « marraine » comtesse de Plouër, fille du Maréchal de Contades. – il ne vient pas de nulle part. C’est une naissance spéciale pour quelqu’un de spécial.
II) La fureur des éléments l.8-11
Pire ! Sa naissance n’est pas seulement survenue dans un lieu obscur et caché, mais les circonstances temporelles et climatiques montrent cette naissance comme un malheur et presque une mort.
L’antithèse des lignes neuf et 10 est très forte ; c’est presque un oxymore : « une bourrasque annonçant l’équinoxe d’automne, empêchait d’entendre mes cris ».
Il est né un 4 septembre, période propice aux tempêtes. Saint-Malo est connue pour ses marées d’équinoxe qui s’accompagnent de vent et de fortes pluies.
Sa naissance est accueillie par des manifestations visuelles et sonores, avec « mugissement » et « soulever ». Le bruit couvre les cris de l’enfant ; c’est comme s’il était mort symboliquement (l’enfant doit crier à la naissance).
La mer est ici animalisée : elle mugit telle un lion, cela renforce la puissance de ses vagues et donc la violence de la nature.
III) Une naissance sombre et augurale l.11-12
Chateaubriand insiste sur le caractère augural (prévoyant) de cette naissance qui a marqué sa vie d’un sceau de tristesse et de mort.
Les adverbes de temps insistent sur la permanence du souvenir « jamais » « souvent » « il n’y a pas de jours… ».
Mais c’est un souvenir indirect, puisque ce sont les témoins qui lui ont raconté. N’est-ce pas une relecture subjective du jeu romantique ? Ou la t on maintenu dans ce souvenir morbide ? Qui ? Un on énigmatique. Il se met donc à rêver « révolte » c’est-à-dire à revoir en pensée ce jour de la naissance.
IV) Le lyrisme à travers le péjoratif l.13-15
Il se met donc à « rêvant » c’est à dire revoir en pensée ce jour de la naissance. Une longue phrase lyrique évoque la scène virtuelle et sonore, par flashs successifs : « le rocher sur lequel je suis né » expression très péjorative pour désigner Saint-Malo. La « chambre ou ma mère m’infligea la vie » (la vie et vu comme une punition, un véritable châtiment divin), La tempête qui « berça » (terme ironique qui montre une dépréciation de soi car on ne voulait pas de lui). Enfin « le frère infortuné » qui mourut avant lui, qui, en lui donnant son nom, l’a marqué du signe du malheur.
Cette phrase est lyrique car elle est ample avec un vocabulaire très expressif (on l’a vu) et elle est scandée par des sonorités qui reviennent d’une manière lancinante :
- [é] : « été » « pensée » « rocher » « né »
- [m] : « jamais » « ma mémoire » « mon » « ma mère » « m’infligea »
- [t] : « été » « tempête » « infortuné » « toujours traîner »
VI) La naissance de l’homme, une punition pour l’auteur l.16-17
Il veut faire comprendre qu’une fatalité s’est abattue sur lui, tout au long de sa vie. C’est l’idée principale qui clôt la phrase : « j’ai presque toujours traîné dans le malheur » dans un syntagme long qui vient comme écraser Chateaubriand sous le poids du malheur.
L’idée est amplifiée par la phrase de conclusion. Le destin, Dieu (= le « ciel ») n’est pas cause de ses malheurs, mais voulait que sa naissance (exprimée par la métonymie « berceau ») soit la figure, « l’image » de sa vie, le pluriel d’emphase « destinée ». Manière de se montrer comme un homme hors du commun, original.
Conclusion : Chateaubriand prend-il la pose ? Sa mémoire reconstruit-elle le passé pour donner de lui l’image d’un homme de génie marqué dès les origines par un destin hors du commun ? Comme dans les légendes, particulièrement les mythes celtes, la naissance du héros est manifestée par des événements extraordinaires. Pour Chateaubriand, il s’agit d’un destin marqué par le malheur, la tristesse, l’appel de l’infini, ce « vague à l’âme » appelé par Musset « mal du siècle ». Cette insatisfaction profonde, cette introspection douloureuse, cette fascination de l’échec font de l’auteur des Mémoires d’outre-tombe un précurseur du romantisme français. Chateaubriand est le génial metteur en scène de sa propre vie : ce breton mélancolique, né sur un « rocher » choisira de dresser sa tombe sur le promontoire du « Grand Bé », à Saint-Malo. Il laisse ainsi l’image du poète échevelé, ouvert au dialogue cosmique avec l’océan tumultueux qui avait présidé à sa naissance.
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