Etude linéaire de l'acte I scène 8 et intermède du Malade imaginaire

Etude linéaire de l'acte I scène 8 et intermède du Malade imaginaire

Texte

ACTE I - SCÈNE 8


Toinette
Les voilà avec un notaire, et j'ai ouï parler de testament. Votre belle-mère ne s'endort point : et c'est sans doute quelque conspiration contre vos intérêts, où elle pousse votre père.

Angélique
Qu'il dispose de son bien à sa fantaisie, pourvu qu'il ne dispose point de mon cœur. Tu vois, Toinette, les desseins violents que l'on fait sur lui. Ne m'abandonne point, je te prie, dans l'extrémité où je suis.

Toinette
Moi, vous abandonner ! J'aimerais mieux mourir. Votre belle-mère a beau me faire sa confidente et me vouloir jeter dans ses intérêts, je n'ai jamais pu avoir l'inclination pour elle ; et j'ai toujours été de votre parti. Laissez-moi faire, j'emploierai toute chose pour vous servir ; mais, pour vous servir avec plus d'effet, je veux changer de batterie, couvrir le zèle que j'ai pour vous, et feindre d'entrer dans les sentiments de votre père et de votre belle-mère.

Angélique
Tâche, je t'en conjure, de faire donner avis à Cléante du mariage qu'on a conclu.

Toinette
Je n'ai personne à employer à cet office, que le vieux usurier Polichinelle, mon amant ; et il m'en coûtera pour cela quelques paroles de douceur, que je veux bien dépenser pour vous. Pour aujourd'hui il est trop tard ; mais demain, de grand matin, je l'envoierai quérir, et il sera ravi de…

Béline
Toinette !

Toinette
Voilà qu'on m'appelle. Bonsoir. Reposez-vous sur moi.
PREMIER INTERMÈDE
(Le théâtre change et représente une ville.)

(Polichinelle, dans la nuit, vient pour donner une sérénade à sa maîtresse. Il est interrompu d'abord par des violons, contre lesquels il se met en colère, et ensuite par le guet, composé de musiciens et de danseurs.)


Polichinelle
O amour, amour, amour ! Pauvre Polichinelle, quelle diable de fantaisie t'es-tu allé mettre dans la cervelle ? A quoi t'amuses-tu, misérable insensé que tu es ? Tu quittes le soin de ton négoce, et tu laisses aller tes affaires à l'abandon ; tu ne manges plus, tu ne bois presque plus, tu perds le repos de la nuit ; et tout cela, pour qui ? Pour une dragonne, franche dragonne ; une diablesse qui te rembarre et se moque de tout ce que tu peux lui dire. Mais il n'y a point à raisonner là-dessus. Tu le veux, amour : il faut être tout comme beaucoup d'autres. Cela n'est pas le mieux du monde à un homme de mon âge ; mais qu'y faire ? On n'est pas sage quand on veut ; et les vieilles cervelles se démontent comme les jeunes. Je viens voir si je ne pourrai point adoucir ma tigresse par une sérénade. Il n'y a rien parfois qui soit si touchant qu'un amant qui vient chanter ses doléances aux gonds et aux verrous de la porte de sa maîtresse. Voici de quoi accompagner ma voix. O nuit ! ô chère nuit ! porte mes plaintes amoureuses jusque dans le lit de mon inflexible.

Etude linéaire

 

Le mariage en question est celui que le père d'Angélique a arrangé pour elle, sans tenir compte de ses sentiments. Angélique ne peut pas informer Cléante elle-même car elle est surveillée et contrôlée par sa belle-mère Béline et son père. De plus, en tant que jeune fille de l'époque, ses mouvements et ses communications sont restreints, surtout en ce qui concerne les affaires de cœur et de mariage.

 

La figure de style utilisée est une antithèse, qui oppose deux idées contraires : "son bien" et "mon cœur". Cette construction met en parallèle les possessions matérielles du père et les sentiments d'Angélique. En utilisant cette figure de style, Angélique dénonce l'autorité paternelle sur les biens matériels tout en revendiquant son autonomie sentimentale. Elle refuse que son père traite son cœur comme une de ses possessions, soulignant ainsi son désir de liberté amoureuse.

 

Le plan de Toinette est de feindre d'entrer dans les bonnes grâces de Béline et du père d'Angélique pour mieux les espionner et aider Angélique. Les mots qui révèlent ce plan sont : "je veux changer de batterie, couvrir le zèle que j'ai pour vous, et feindre d'entrer dans les sentiments de votre père et de votre belle-mère". Toinette adopte une stratégie de dissimulation pour protéger les intérêts d'Angélique tout en semblant se ranger du côté de Béline.

 

Les relations entre Toinette et Angélique sont marquées par une forte complicité et une solidarité affective. Toinette, malgré son statut de servante, montre une fidélité et une dévotion exceptionnelles envers Angélique, promettant de tout faire pour l'aider. Ce qui peut paraître surprenant, c'est l'égalité et la confiance mutuelle entre elles, qui transcendent les barrières sociales de l'époque. Angélique traite Toinette avec respect et gratitude, et Toinette répond avec un dévouement total, montrant une relation qui va au-delà des simples rôles de servante et de maîtresse.

 

Béline est dépeinte comme une intrigante manipulatrice, opposée aux intérêts d'Angélique. Elle est impliquée dans une conspiration avec le père d'Angélique pour influencer le testament et les décisions familiales. Cette image est renforcée par le fait qu'elle essaie de recruter Toinette à ses côtés, montrant sa nature calculatrice et intéressée. Béline apparaît ainsi comme une belle-mère malveillante, cherchant à imposer sa volonté sur les autres membres de la famille.

 

Oui, "Le Malade imaginaire" comporte plusieurs intermèdes qui entrecoupent l'action principale. Ces intermèdes servent généralement à apporter une pause comique ou musicale, offrant aux spectateurs un divertissement supplémentaire tout en soulignant certains thèmes de la pièce. Ils permettent également de développer des motifs récurrents, comme la satire des professions médicales et des comportements amoureux, tout en contribuant à l'ambiance générale de la pièce. Chaque intermède est une occasion de commenter indirectement l'intrigue principale par le biais de scènes comiques ou allégoriques.

 

L'intermède s'insère après la scène de tension où Angélique et Toinette discutent des plans de mariage et de la conspiration de Béline. Cet intermède, avec Polichinelle, offre une pause comique et musicale, allégeant la tension dramatique précédente. Il sert à divertir le public tout en mettant en avant les thèmes de l'amour et de la folie amoureuse, parallèles à ceux vécus par Angélique et Cléante. Cela souligne le caractère universel et intemporel des sentiments amoureux.

 

Polichinelle est décrit comme l'amant de Toinette, un vieux usurier qu'elle compte utiliser pour transmettre un message à Cléante. Toinette le mentionne en disant : "je n'ai personne à employer à cet office, que le vieux usurier Polichinelle, mon amant". Elle le décrit de manière pragmatique, comme un moyen d'atteindre son but, mais avec une note d'ironie en soulignant qu'elle doit utiliser des "paroles de douceur" pour obtenir son aide.

 

Les didascalies marquent clairement la transition entre la scène 8 et l'intermède. La première didascalie indique un changement de décor ("Le théâtre change et représente une ville"), signalant une pause dans l'intrigue principale et l'introduction d'un nouvel environnement. La deuxième didascalie introduit l'entrée de Polichinelle, précisant le contexte nocturne et musical ("Polichinelle, dans la nuit, vient pour donner une sérénade à sa maîtresse"). Ces didascalies confirment qu'il s'agit d'un intermède en signalant un changement de ton et de rythme, se détachant temporairement de la trame principale pour offrir une scène de divertissement.

 

Cet intermède est comique en raison de la situation absurde et des actions exagérées de Polichinelle. Son monologue où il se plaint de son amour non réciproque pour une "dragonne" est rempli d'exagérations et de lamentations grotesques. De plus, son intention de chanter une sérénade pour adoucir sa maîtresse, ainsi que l'interruption par des violons et des danseurs, ajoutent des éléments burlesques et slapstick qui sont typiques de la comédie. L'humour vient aussi de la manière dont Polichinelle se prend au sérieux dans une situation intrinsèquement ridicule.

 

Le type de réplique que prononce Polichinelle est un monologue. Dans ce monologue, il exprime ses sentiments et ses pensées de manière prolongée, s'adressant à lui-même ou au public, ce qui est typique pour dévoiler l'intériorité d'un personnage et pour faire avancer l'intrigue ou le développement de celui-ci.

 

Le nom de Polichinelle fait penser au théâtre de la commedia dell'arte, une forme de théâtre populaire italien caractérisée par des masques, des improvisations et des personnages typiques comme Arlequin, Colombine et Polichinelle. Ces personnages sont souvent stéréotypés et utilisés dans des scènes comiques et satiriques.

 

Polichinelle prononce ces mots en se lamentant sur son amour non réciproque et sur la folie qu'il ressent pour une femme qui le méprise. Ses propos ne sont pas particulièrement originaux, car ils reprennent des thèmes classiques de l'amour non partagé et de l'auto-dérision typiques de la commedia dell'arte. Ces lamentations contrastent avec les dernières paroles de Toinette, qui sont pleines d'assurance et de détermination. Polichinelle invoque plus tard "Ô nuit, ô chère nuit", utilisant une tournure similaire pour adresser ses plaintes à une entité abstraite, ajoutant une dimension poétique et dramatique à sa complainte.

 

Polichinelle se décrit comme un "pauvre Polichinelle", "misérable insensé", et parle de "vieilles cervelles" qui se démontent comme les jeunes. Cet autoportrait est comique car il est rempli d'auto-dérision et d'exagération. Il ridiculise sa propre situation et ses sentiments, ce qui est typique du genre comique. Comparer Cléante et Angélique à Toinette et Polichinelle met en évidence des contrastes : Cléante et Angélique vivent un amour sérieux et romantique, tandis que Toinette et Polichinelle représentent une version plus burlesque et exagérée de l'amour, mettant en avant les aspects ridicules et les contradictions des relations amoureuses.

 

Polichinelle utilise des métaphores animales pour décrire Toinette, la qualifiant de "dragonne", "franche dragonne", et de "tigresse". Le point commun de ces métaphores est qu'elles évoquent des créatures féroces et redoutables, soulignant le caractère redoutable et intraitable de Toinette dans l'imaginaire de Polichinelle. Ces descriptions renforcent le caractère comique de la scène en exagérant les traits de Toinette de manière absurde.

 

Dans la réplique de Polichinelle, le pronom "tu" désigne d'abord lui-même ("quelle diable de fantaisie t'es-tu allé mettre dans la cervelle ?"), puis l'amour en général ("Tu le veux, amour"). Cela fait ressortir le caractère dualiste et introspectif de Polichinelle, qui se parle à lui-même tout en s'adressant à l'amour comme à une force extérieure et irrationnelle. Cela souligne son désarroi et son sentiment de perte de contrôle face à ses émotions, ajoutant une dimension comique et pathétique à son personnage.


Angélique veut prévenir Cléante du mariage que son père a conclu pour elle avec Thomas Diafoirus, le fils de l’un de ses médecins foireux comme l’indique son nom. Cependant elle ne peut pas aller le prévenir elle-même car son père la surveille de près depuis qu’elle a publiquement refusé cette union imposée par Argan afin de faire entrer un médecin dans sa famille pour l’avoir toujours à sa disposition. Angélique dénonce la cruauté de son père qui ne fait aucun cas de son bonheur mais ne pense qu’à ses propres intérêts en choisissant un mari qui lui convient à lui. Elle veut faire échouer les projets de son père et s’en remet à Toinette pour l’aider à faire avorter le mariage avec Thomas Diafoirus : «Qu’il dispose de son bien à sa fantaisie, pourvu qu’il ne dispose point de mon cœur». Angélique est très proche de sa servante, la différence de classe sociale est totalement effacée par l’affection sincère et profonde qui lie les deux femmes : «Ne m’abandonne point, je t’en prie, dans l’extrémité où je suis» / «Moi, vous abandonner ? J’aimerais mieux mourir.» Toinette est lucide quant aux intentions de Béline, la belle-mère d’Angélique, une femme vénale qui a épousé Argan pour son argent et veut se débarrasser au plus vite de ses deux fille afin d’avoir la main mise sur la totalité de sa fortune : «Votre belle-mère ne s’endort point, et c’est sans doute une conspiration contre vos intérêts où elle pousse votre père». Toinette est très protectrice à l’égard d’Angélique et incarne le personnage de la servante pleine de ressources, capable par son intelligence de faire échouer les plans de son idiot de maître : «Laissez-moi faire : j’emploierai toute chose pour vous servir ; mais pour vous servir avec plus d’effet, je veux changer de batterie, couvrir le zèle que j’ai pour vous, et feindre d’entrer dans les sentiments de votre père et de votre belle-mère. » 

Il y a trois intermèdes dans la pièce, et chacun deux sert à faire progresser l’intrigue principale en dévoilant des aspects cachés de la personnalité des personnages tout en amusant les spectateurs. Ici l’intermède a pour but à la fois de révéler la relation amoureuse entre Polichinelle et Toinette, mais aussi de transmettre à Polichinelle un message à la à l’intention de Cléante pour l’avertir du projet d’Argan qui a accordé la main d’Angélique à Thomas Diafoirus. L’intermède est chanté et dansé et donne lieu à une scène de bastonnade digne de la commedia dell’arte.

Le personnage de Polichinelle est un valet traditionnel de la commedia dell’arte. Ici il chante une sérénade pour sa bien-aimée Toinette présentée comme une «tigresse» ce qui rend le personnage comique tout en révélant un nouveau trait de sa personnalité : elle ne laissera pas tomber Angélique et se battra pour sauver sa maîtresse d’un mariage désastreux fomenté contre elle par son abominable père. La sérénade de polichinelle joue sur les clichés amoureux : « O Amour, Amour, Amour, Amour ! » ce qui souligne le ridicule de l’amoureux transi complètement soumis à sa dulcinée qui finalement en profite pour lui remettre le fameux billet destiné à Cléante. Polichinelle et Toinette forment un couple comique par opposition au couple Angélique - Cléante dont l’histoire prend des accents tragiques puisque le père de la jeune fille s’oppose à leur union et menace de l’enfermer dans un couvent, ultime solution pour se débarrasser d’elle.

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