Analyse des Fausses confidences, acte I scène 2, la scène d’exposition

Analyse des Fausses confidences, acte I scène 2, la scène d’exposition

INTRODUCTION. CONTEXTE : Pendant la période de la Régence, l’austérité de la fin du règne de Louis XIV laisse place à l’émancipation des mœurs. La fameuse banqueroute de Law est propice au brassage social. Les bourgeois s’enrichissent et deviennent de plus en plus cultivés et côtoient dans les salons les aristocrates. Marivaux, s’interroge sur la structure pyramidale de la société. ŒUVRE : Son œuvre Les Fausses Confidences, jouée pour la première fois en 1737, témoigne de l’esprit nouveau à l’aube des Lumières. EXTRAIT : Acte I, scène 2. Les Fausses Confidences commencent par une « vraie confidence », placée sous le signe du « mystère », comme l’indique la didascalie initiale introduisant Dubois – « avec un air de mystère » – auprès de Dorante. L’intérêt dramaturgique premier de cette scène d’exposition est d’informer le lecteur/spectateur du stratagème qui a été mis en place par les deux hommes, stratagème dont le mobile est ambigu comme le signale l’emploi du mot polysémique du terme « fortune » (peut signifier « bonheur » ou « richesse »). Dubois, héritier du valet machiniste de la comédie traditionnelle, rassure son maître en lui affirmant que leur « affaire est infaillible, absolument infaillible » et expose alors au public la machination ourdie.

PROBLÉMATIQUE : Comment Dubois parvient-il à convaincre Dorante de l’infaillibilité du stratagème mis en place ?

I) Une exposition qui présente les actants du stratagème

a) Un couple de maître-valet reformé : Dubois rassure Dorante et contre ses objections.

Même si Dorante n’est plus le maître de Dubois, cet échange révèle que la relation maître-valet reste inchangée : le valet, conformément à son statut lui conférant le rôle de confident, tend à rassurer son maître et ne cesse de contrer les objections de ce dernier.

Les objections de Dubois révèlent la vulnérabilité du personnage en même temps qu’elles ouvrent la possibilité de l’éventuel échec du stratagème :

Objection n°1 d’ordre financier « Elle a plus de cinquante mille livres de rente » ? Dorante rappelle à Dubois la fortune, immense, de la jeune veuve en l’inscrivant dans une réalité sociale : cette objection énonce le premier obstacle majeur.

Objection n°2, mise en valeur par l’adverbe d’intensité, porte sur le caractère de cette femme dont nous ne connaissons pas encore le nom – et qui existe avant tout ici par son statut de jeune veuve riche, proie de taille !

Néanmoins, face à ces objections, Dubois semble plutôt amusé : prenant un ton rassurant et moqueur, il affirme que rien ne pourra s’opposer au plan :

Il minimise le 1e obstacle en jouant sur les nombres, opposant « cinquante » à « soixante » (60 étant supérieur à 50, si l’on oublie le facteur « mille »…).

Il inverse la situation, affirmant dans un parallélisme de construction que l’obstacle de la raison n’est qu’un atout : « Tant mieux pour vous, et tant pis pour elle. »

L’échange révèle donc bien un rapport de force traditionnel et non dénué de comique entre un maître inquiet et un valet à la fois indolent et sensible au malheur de ce dernier. Pourtant, à bien considérer la situation, Dubois devrait à priori servir les intérêts de sa maîtresse actuelle, et non ceux de son ancien maître…

b) Présentation d’une intrigue amoureuse, sur le mode de la parodie :

Adoptant un langage à la limite de la parodie, Dubois expose sur le mode hypothétique la situation. Il annonce alors les étapes de l’intrigue amoureuse propre à la comédie, en les résumant de façon parodique :

c) L’exposition :

La progression de l’action, marquée par l’hyperbole (dans une gradation sémantique).

Le dénouement, qu’il présente comme inévitable grâce à la négation restrictive.

Il exploite de façon parodique le dilemme propre à l’héroïne tragique, dilemme qui oppose la Raison aux Sentiments, et qui provoque, dans toutes les tragédies, un véritable combat intérieur auquel il est fait allusion par le verbe pronominal.

Railleur et moqueur, Dubois n’en reste pas moins un valet qui se veut rassurant : il est persuadé de l’issue heureuse du stratagème, comme l’exprime l’emploi du futur.

Abandonnant le langage parodique, il revient à la situation présente par une question qui n’a d’autre intérêt que d’informer le spectateur quant à la sincérité des sentiments de Dorante.

d) La « vraie » confidence de Dorante, amoureux sincère :

Dorante, conformément au jeune amoureux de la comédie, paraît totalement dominé par sa passion : il se présente comme une victime et souligne sa vulnérabilité, il « tremble » dans l’exclamative.

Cette réplique est un aveu amoureux et contraste avec le langage parodique de Dubois, mettant en valeur l’opposition des caractères : Dubois revêt la figure du valet jovial et volontiers railleur ; Dorante revêt celle de l’amant transi (et en passe d’être éconduit au vu de son statut).

Cette « vraie confidence » a le mérite d’exposer l’émotion sincère de Dorante : rappelons que dans cette scène, les deux hommes, complices, sont à l’abri d’un quelconque regard étranger : Dorante ne joue aucun rôle et avoue librement son amour.

Transition : les actants du stratagème mis en place par Dubois sont donc définis : Dorante, mû par l’amour, veut conquérir le cœur d’une jeune veuve riche (laquelle reste, pour l’instant, anonyme). Il doit affronter des obstacles de taille, même si la résistance de la maîtresse est parodiée par le valet. Face aux réticences de Dorante, Dubois se montre alors plus autoritaire et sa tirade finale.

II) Dubois ou le maître de la rhétorique de la manipulation

Parodie d’exorde, révélant le glissement du rapport de force : du maître-valet au valet-maître.

a) L’amorce s’apparente à une sorte de parodie d’exorde :

Le début de la tirade n’en appelle pas aux sentiments de bienveillance (captatio benevolentiae) : au contraire, le discours de Dubois se veut frappant et déroutant. Il interrompt presque les jérémiades de Dorante par son interjection redoublée « oh », « Eh ! que diantre ! ».

b) La tirade témoigne d’un double glissement du rapport de force :

Dorante, qui était le maître, devient l’élèves plein de « terreurs » et peu confiant en lui-même ; Dubois, qui était le valet, devient le maître, le professeur « impatienté » par l’entêtement de son élève et répétant de façon insistante qu’il prévoit : « vous réussirez, vous dis-je ».

c) Son discours inclut des notations relatives à l’éthos :

(Dans la rhétorique antique, le discours doit révéler l’éthos, la moralité, de l’orateur, qui doit inspirer confiance par l’image qu’il donne de lui-même). Dubois se présente comme le génie de la manipulation : tout est pensé, réfléchi, calculé (cf. le rythme ternaire « Je m’en charge, je le veux ; je l’ai mis là. »). Maître de la situation, il inclut néanmoins habilement son destinataire par l’emploi de la P4. Le chiasme (…toute / toute…) souligne la solidité du stratagème mis en place.

d) Confirmation du plan infaillible : Dubois, double du metteur en scène :

Dubois se présente comme un dramaturge et un metteur en scène hors pair :

Il distribue les rôles en fonction du caractère de chacun et s’autoproclame metteur en scène aguerri. Il refuse que Dorante remette en cause sa capacité à « conduire » une comédie : phrase interrogative « entendez-vous ? ». 

Il prévoit l’issue d’une intrigue dont il écrit lui-même les grandes lignes, et en ce sens devient le double du dramaturge. L’emploi du futur de certitude tend à confirmer à l’auditoire (Dorante et le public) le caractère infaillible de son stratagème.

Marivaux semble s’amuser de ce personnage outrancier, qui évoque la femme aimée dans un vulgaire et impersonnel « on », la caricature sans complaisance – « toute raisonnable » ; « toute fière » – et dont les motivations réelles sont suspectes comme l’exprime l’association du mariage d’amour et du mariage d’intérêt, mise sur le même plan dans ce parallélisme de construction.

Péroraison emphatique, mais comique, du stratège privilégiant un ton emphatique, Dubois met fin à sa tirade en utilisant :

- La métaphore du combat : face à ce véritable stratège au sens étymologique du terme (strategoj : qui conduit une troupe), les adversaires évoqués dans des allégories ne pourront qu’êtres vaincus puisque « L’amour et moi, nous ferons le reste ».

- Un pseudo-argument d’autorité, reprenant le style du proverbe avec l’utilisation du présent gnomique.

Fin psychologue, il sait que la jalousie est une arme puissante, raison pour laquelle il conseille à Dorante de séduire aussi « un peu » Marton.

La clôture du discours coïncide avec une sorte de lever de rideau : Dubois met fin à sa tirade de façon péremptoire et précipitée, l’arrivée d’un protagoniste interrompant ce discours éloquent : « Adieu ; je vous quitte ; j’entends quelqu’un ».

La comédie peut alors commencer : « nous voilà embarqués, poursuivons. »

 

CONCLUSION : Cet échange permet de convaincre Dorante de l’infaillibilité du stratagème mis en place par son ancien valet. Dubois, véritable dramaturge et metteur en scène, a écrit – en amont de la pièce – les rôles qu’il distribue ici. En parfait manipulateur, il maîtrise les ressources de la rhétorique. L’intervention de M. Rémy se fait à son avantage : acculé, Dorante ne peut répondre à la tirade de Dubois et commence dès lors à jouer son rôle.

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