Analyse de « Au Cabaret vert » dans Les Cahiers de Douai de Rimbaud
Comment Rimbaud utilise-t-il la forme traditionnelle du sonnet pour rendre poétique un sujet trivial ?
I) Un sujet trivial
Le poème “Au Cabaret Vert” est un sonnet de forme apparemment classique, composé de deux quatrains et deux tercets, d’une transition et d’une pointe. Le sonnet est, en temps normal le véhicule de poèmes aux idées nobles. Or, dans ce sonnet Rimbaud décrit son moment du goûter. Ce sujet est à la fois trivial puisqu’il parle de “nourriture” mais il est aussi enfantin car il décrit le moment du goûter. De plus, ici la nourriture décrite est très simple et crue : “des tartines de beurre, Du jambon tiède” ce qui montre que Rimbaud se moque des sujets nobles normalement abordés dans un sonnet. En effet, les enjambements et les rejets, normalement utilisés pour accentuer un mot et une idée sont ici utilisés pour des mots qui n’apportent rien d'intéressant : “j'allongeai les jambes sous la table Verte” Ici le fait que la table soit verte n’apporte rien au poème donc cela montre que Rimbaud joue avec le lecteur. On peut y voir une parodie du sonnet qui est dévoyé. Cependant la disposition des rimes dans les deux premiers quatrains est différente d’un sonnet normal, ce sont des rimes croisées au lieu d’être des rimes embrassées. Ceci est peut être un indice de l’auteur pour dire que ce sonnet n’est pas comme les autres, un sonnet voyou ! Les enjambements perturbent la lecture et montrent que sous l’aspect “lisse” du sonnet il y a des incohérences dans l’esprit du poète tourmenté. Il arrive à les canaliser à travers la poésie qui est source d’apaisement, tout comme les plaisirs simples, c’est pourquoi il écrit “Bienheureux, j'allongeai les jambes sous la table Verte”.
II) Un poème riche en enseignements sur la vie de Rimbaud
Cependant Rimbaud ne se contente pas de trivialiser le sonnet il y met aussi beaucoup d’enseignements sur sa vie. En effet, le premier vers du poème: “Depuis huit jours, j'avais déchiré mes bottines Aux cailloux des chemins” nous indique que Rimbaud a fugué depuis maintenant “huit jours” et il n’a ni argent ni nourriture, d'où le fait que ce sonnet soit à propos de son goûter très peu cher. C’est un poème sur l’errance, que l’on peut rapprocher de “Ma Bohème”. De plus, Rimbaud nous montre un décalage entre l’enfance qu’il n'a toujours pas abandonnée , représentée par le goûter et de nombreux adjectifs :”naïfs”,”colorié”, et l’adolescence représentée par son désir pour la serveuse : “Et ce fut adorable, Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs”. Dans ce sonnet Rimbaud montre qu’il est à un stade de transition dans sa vie. En effet du fait que la serveuse représente l’adolescence et les tartines l’enfance le vers 10 “Rieuse, m'apporta des tartines de beurre,” comme si “l’adolescence” lui apportait un repas de nostalgie qui renvoie à son enfance. De plus dans les deux derniers vers:” et m'emplit la chope immense, avec sa mousse Que dorait un rayon de soleil arriéré.” Ceci montre qu’il boit de la bière et donc renvoie à la transition vers l'âge adulte alors que le “soleil arriéré” qui peine à se coucher pourrait représenter son enfance qui peine à laisser place aux responsabilités d’un adulte. D'où le fait qu’il ait choisi l’errance.
Écrire commentaire