Etude linéaire de On ne badine pas avec l'amour de Musset, acte I scène 3
Un repas a lieu au château du Baron pour célébrer le retour du jeune Perdican, qui revient de Paris après avoir obtenu son doctorat. Ce repas est une occasion de réunir les personnages importants et de marquer l'événement de manière festive, tout en créant un cadre propice aux interactions et aux développements comiques et dramatiques qui suivront.
Le Chœur s'adresse directement au public, rompant ainsi le quatrième mur pour fournir des commentaires et des explications sur les événements en cours. Cette adresse au public est typique de la fonction du Chœur dans la tradition théâtrale, servant à éclairer et divertir les spectateurs en leur donnant des informations contextuelles et en soulignant les aspects comiques ou ironiques de la scène.
La tirade du Chœur marque une pause dans l'action par son ton réflexif et explicatif, contrastant avec le dialogue direct des personnages. Le Chœur prend le temps d'analyser et de commenter la situation, en particulier la relation entre Maître Bridaine et Maître Blazius, et leurs caractères. Cette pause narrative permet au public de mieux comprendre les enjeux et les personnalités en présence, tout en apportant une dimension humoristique.
Les constructions binaires qui marquent le parallèle entre les deux personnages incluent des phrases telles que : "deux hommes à peu près pareils, également gros, également sots, ayant les mêmes vices et les mêmes passions." De plus, des expressions comme "tous deux sont armés d’une égale impudence" et "tous deux sont bavards" renforcent cette symétrie comique, soulignant leurs similitudes de manière répétitive et structurée.
Le procédé littéraire utilisé pour insister sur les similitudes entre les deux personnages est la répétition et le parallélisme. Les phrases sont construites de manière similaire, avec des termes répétés pour chaque personnage, soulignant leur ressemblance. Par exemple, "Ils sont tous deux..." suivi de diverses qualités ou défauts, permet de juxtaposer les personnages de manière efficace et humoristique.
Être gourmet est présenté comme un vice dans ce contexte car il souligne l'excès et la prétention des personnages. Leur gourmandise est non seulement une indulgence en matière de quantité, mais leur côté gourmet ajoute une dimension de raffinement ostentatoire et de snobisme, ce qui les rend encore plus ridicules. Ce contraste entre la gloutonnerie brute et le souci prétentieux de la qualité alimentaire amplifie leur caractère comique et pédant.
Le Chœur se moque des discours pédants des deux hommes en soulignant leur tendance à parler beaucoup sans vraiment écouter l'autre. Il note qu'ils sont "bavards ; mais à la rigueur ils peuvent parler ensemble sans s'écouter ni l'un ni l'autre," ce qui montre leur égocentrisme et leur incapacité à engager une véritable conversation. Cette description ironique révèle leur vanité et leur pédanterie de manière humoristique.
La thématique empruntée au registre épique est celle de la confrontation et du duel. Le Chœur décrit les deux hommes comme étant "armés d'une égale impudence" et se préparant à une sorte de bataille verbale et intellectuelle. Cet emprunt au registre épique, utilisé dans un contexte trivial, crée un effet comique en exagérant l'importance de leurs querelles et en les présentant comme des héros ridicules d'une épopée insignifiante.
Bridaine et Blazius s'apparentent à des marionnettes par leur comportement mécanique et stéréotypé, ainsi que par leur incapacité à échapper à leurs vices et à leurs passions ridicules. Ils semblent être manipulés par leurs traits de caractère exagérés, incapables d'évoluer ou de s'améliorer. Dame Pluche, en tant que pendant féminin, partage cette caractéristique de rigidité et de stéréotypie, agissant également de manière prévisible et conforme à son rôle de gouvernante austère et sévère.
La fonction de cette tirade dans l'intrigue de la pièce est multiple. Elle sert à caractériser les personnages de Maître Bridaine et Maître Blazius de manière humoristique, à souligner leurs défauts et à préparer le terrain pour leurs interactions futures. En fournissant un commentaire ironique et explicatif, le Chœur permet au public de mieux comprendre la dynamique entre les personnages et d'apprécier les subtilités comiques de leurs relations. Cette tirade introduit également le ton léger et satirique de la pièce, engageant le spectateur dans l'intrigue avec une perspective critique et amusée.
I) Le chœur et son rôle dans la scène
a) Le chœur comme détendeur de la sagesse populaire
Dans les tragédies antiques, le chœur joue un rôle essentiel en incarnant la sagesse populaire et en étant omniscient. Musset reprend cette tradition dans On ne badine pas avec l’amour, mais il l’adapte à un cadre plus léger et ironique. Ce groupe d'hommes, probablement issus du peuple, adopte un registre de langue courant : « Venez, mes amis, et asseyons-nous sous ce noyer. » Par son attitude et son langage, le chœur devient un élément caractéristique du drame romantique, fusionnant des éléments de la tragédie et de la comédie.
b) Le chœur comme narrateur ironique
Le chœur utilise l’ironie pour commenter la scène d’exposition, prévenant ainsi le spectateur du drame à venir sans l’opprimer immédiatement. Par exemple, lorsqu'il décrit Maître Bridaine et Maître Blazius comme des « formidables dîneurs », il met en lumière leur gourmandise et leur comportement excessif : « Deux formidables dîneurs sont en ce moment en présence au château, maître Bridaine et maître Blazius. » Cette ironie permet au spectateur de percevoir le caractère comique des personnages tout en pressentant les tensions futures.
II) La critique des personnages par le chœur
a) La double énonciation et la critique implicite
Le chœur utilise des questions rhétoriques pour s’adresser simultanément aux personnages et aux spectateurs : « N’avez-vous pas fait une remarque ? » Cette double énonciation lui permet de critiquer implicitement Maître Blazius et Maître Bridaine, les qualifiant de « sots » et soulignant leurs défauts communs : « sots », « également gros », « mêmes vices ». Le chœur fait preuve de son omniscience en connaissant les détails des relations entre les personnages : « il faut nécessairement qu’ils s’adorent ou qu’ils s’exècrent. »
b) L’ironie et l’humour dans les relations des personnages
Le chœur utilise également l’ironie pour décrire les relations entre Maître Blazius et Maître Bridaine de manière humoristique, les comparant à des amoureux : « Par la raison que les contraires s’attirent, qu’un homme grand et desséché aimera un homme petit et rond, que les blonds recherchent les bruns, et réciproquement. » Cette comparaison ironique apporte de l’humour et renforce le caractère comique de leur rivalité. Le chœur prophétise une lutte entre les deux, prévoyant des « escarmouches » et des tensions : « je prévois une lutte secrète entre le gouverneur et le curé. »
III) La fonction prophétique du chœur
a) L’oracle détourné
Musset reprend le thème de l’oracle en faisant parler le chœur par énigme, mais il détourne le modèle traditionnel en utilisant un langage familier : « Si le poisson est petit, comment faire ? et dans tous les cas une langue de carpe ne peut se partager, et une carpe ne peut avoir deux langues. » Cette prophétie en termes familiers dédramatise les prédictions du chœur, tout en préparant le spectateur aux conflits à venir.
b) La lutte entre les personnages
Le chœur anticipe les luttes entre les personnages, soulignant leurs relations instables et leurs valeurs conflictuelles. Par exemple, il note que Maître Bridaine semble tester Perdican : « Déjà maître Bridaine [...] semble mettre son élève à l’épreuve. » Cette observation souligne les tensions sous-jacentes et les rivalités qui animent les personnages. Le chœur renforce cette impression en répétant « Item » pour caricaturer davantage Maître Blazius et Maître Bridaine : « Item, ils sont aussi ignorants l’un que l’autre. Item, ils sont prêtres tous deux ; l’un se targuera de sa cure, l’autre se rengorgera de sa charge de gouverneur. »
IV) Le conflit et le ridicule des personnages
a) La rivalité et la colère
La rivalité entre Maître Blazius et Maître Bridaine est exacerbée par leur ressemblance et leur orgueil. Le champ lexical de la colère souligne cette rivalité : « joues enflammées », « yeux à fleur de tête », « secouer pleins de haine leurs triples mentons. » Cette description met en lumière la nature enfantine et ridicule de leur conflit, particulièrement visible lors du dîner : « Ils se regardent de la tête aux pieds, ils préludent par de légères escarmouches ; bientôt la guerre se déclare ; les cuistreries de toute espèce se croisent et s’échangent. »
b) Dame Pluche comme modérateur
Dame Pluche intervient pour calmer leur conflit, bien qu'elle soit elle-même tournée en ridicule par le chœur : « pour comble de malheur, entre les deux ivrognes s’agite Dame Pluche. » Cette intervention souligne non seulement le caractère ridicule de Maître Blazius et Maître Bridaine, mais aussi celui de Dame Pluche, qui devient un personnage comique malgré elle.
Conclusion
Dans cette scène, Musset utilise le chœur pour introduire un commentaire ironique et humoristique sur les personnages et leurs relations. En combinant des éléments de la tragédie et de la comédie, le chœur prépare le spectateur aux tensions à venir tout en le divertissant. La critique des personnages par le chœur, l’utilisation de l’ironie et de l’humour, ainsi que les observations prophétiques contribuent à créer une atmosphère complexe où le drame et la comédie se rencontrent. Cette scène d’exposition, par ses observations perspicaces et son ton ironique, annonce les enjeux de la pièce et prépare le spectateur à une exploration approfondie des relations humaines et des conflits qui en découlent.
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