Etude linéaire du Postambule de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges

Etude linéaire du Postambule de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges

Introduction

Olympe de Gouges est une auteure engagée qui a mené différents combats pour l'égalité et la justice. En 1791, elle rédige la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (DDFC). Ce texte revendique la pleine assimilation des femmes d’un point de vue juridique, politique mais aussi social. Calqué sur le modèle de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC) de 1789, ce document est le premier à évoquer l’égalité des femmes par rapport aux hommes. L’extrait étudié est le postambule de sa déclaration qui vient éclairer les articles précédents, analyser la condition des femmes et conclure sur la nécessité d’un mouvement à grande ampleur pour faire reconnaître leurs droits. Nous nous demanderons quelle stratégie utilise Olympe de Gouges pour amener les femmes à agir pour leurs droits.

 

1er mouvement : Appel aux femmes : invitation à prendre conscience que les hommes ont bafoué leurs droits (l.1 à 6)

Le texte s’ouvre sur une apostrophe au singulier, « Femme », qui permet à chacune des lectrices de se sentir interpellée personnellement. L’emploi de l’impératif présent, « réveille-toi », « reconnais tes droits », place le texte sous le signe de l’injonction. De Gouges invite à l’action et montre l’urgence de se battre pour les droits des femmes. Par ces deux procédés, elle donne d’emblée de la vigueur à son appel.

La métaphore militaire, « tocsin de la raison », qui peut être vue comme une allégorie de la raison, couplée à l’allitération en t- « se fait entendre dans tout l’univers », permet à l’auteure de présenter ce moment comme un tournant majeur dans la lutte. Olympe de Gouges cherche à éveiller les consciences au combat, soulignant l’idée que sa portée doit être large par l’hyperbole « dans tout l’univers ». La « raison » se présente ainsi comme la messagère, la porteuse de cette lutte qui s’apprête à commencer. De plus, la négation « n’est plus » et l’usage du passé composé « a dissipé » marquent bien une rupture temporelle, et insistent sur l’opportunité du moment. C’est maintenant qu’il faut agir pour mettre fin à l’injustice dont sont victimes les femmes.

L’auteure expose la raison qui justifie cette intervention : une situation post-révolutionnaire inédite. Le combat des Lumières a porté ses fruits et a amené les hommes à se libérer du joug des valeurs de l’Ancien régime. Les hommes ont appris à développer leur esprit critique et se sont affranchis de la doxa imposée par les privilégiés (noblesse et clergé) qui les entretenaient dans l’ignorance et la servitude. Olympe de Gouges reprend la métaphore des Lumières avec le lexique « flambeau de la vérité », « aveugles », « nuages de la sottise et de l’usurpation ». Le champ lexical de l’esclavage témoigne également de l’affranchissement des hommes : « l’homme esclave », « briser ses fers », « devenu libre ».

Cependant, elle fait le constat que seul l’homme a profité des progrès apportés par la Révolution : le parallélisme « devenu libre/devenu injuste envers sa compagne » souligne l’égoïsme des hommes qui refusent l’émancipation des femmes qui les ont pourtant aidés pendant la Révolution : « L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers ». Les hommes n’ont pas partagé leur liberté avec les femmes, les laissant dans leur condition injuste.

 

2ème mouvement : Analyse des conditions de la femme après la Révolution (l.7 à 15)

À partir de la ligne 7, Olympe de Gouges développe encore ses idées. Le texte gagne alors en force. Elle s’adresse cette fois à toutes les femmes. L’apostrophe empathique « Ô femmes ! femmes », à présent au pluriel, prépare le thème de l’union nécessaire à venir et relance la dynamique du texte, renforcée par l’interjection et le point d’exclamation.

Elle cherche à ouvrir ses semblables à la réflexion, les invitant à porter un regard lucide sur le passé et le présent. Pour cela, elle recourt à deux questions rhétoriques : « Quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la révolution ? » Le constat est amer : la révolution n’a pas fait évoluer la condition de la femme, qui n’a pas gagné en respect malgré la rédaction de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Au contraire, les intensifs « plus » dans le parallélisme « un mépris plus marqué, un dédain plus signalé » le soulignent. La Révolution n’a profité qu’aux hommes.

Le ton polémique s’intensifie dans les lignes qui suivent : elle qualifie la politique des régimes monarchiques menée dans le passé par l’expression accablante « les siècles de corruption ». Aliénée en société, totalement soumise aux hommes, la femme prenait sa revanche en usant de ses charmes pour orienter en sous-main les décisions du pouvoir. Sa position et son pouvoir se limitaient à un pouvoir dans l’ombre. La négation restrictive « vous n’avez régné que sur la faiblesse des hommes » traduit cette idée. Paradoxalement, la Révolution, en détruisant les privilèges, a détruit l’unique pouvoir des femmes.

Les questions rhétoriques qui suivent : « Que vous reste-t-il donc ? Craignez-vous… ? Qu’auriez-vous à redouter… ? » cherchent à amener les lectrices à conclure sur l’échec des femmes et à susciter une réaction radicale. Pour renforcer sa stratégie persuasive et mettre en confiance ses semblables, Olympe de Gouges recourt alors à une parabole inversée, celle des Noces de Cana dans le nouvel évangile : « Le bon mot…vous et nous ? » Il s’agit du passage où Marie, au cours d’un banquet, signale à son fils Jésus qu’il n’y a plus de vin dans les jarres. Avant d’accomplir le miracle de remplir ces jarres, il donne à Marie une réponse qui a été traduite par « Qu’avons-nous en commun, femme ? » Dans le texte, la périphrase « le législateur des noces de Cana » désigne le Christ et « les Législateurs français » représentent les hommes, qu’ils soient dans la sphère publique ou privée. Olympe de Gouges prend à contrepied cette parabole pour exhorter les femmes à se révolter, dénonçant le préjugé des hommes sur l’incapacité des femmes à prendre des décisions en utilisant la métaphore du fruit pourri « morale […] accrochée aux branches de la politique, mais qui n’est plus de saison ».

Ainsi, à la question « Qu’avons-nous de commun entre vous et nous ? », Olympe de Gouges répond « Tout ». Ce mot-phrase, par sa brièveté, fait mouche. Tout doit être en commun, et c’est bien à ce programme que s’est employée la déclaration qui précède ce postambule.

 

3ème mouvement : Les moyens d’agir (l.16 à la fin)

Le troisième mouvement s’ouvre alors sur une hypothèse : « s’ils s’obstinent […] principes ». Par cette proposition subordonnée circonstancielle hypothétique, Olympe de Gouges expose les moyens de mettre en œuvre le mouvement des femmes tout en les mettant en garde contre les potentiels obstacles formés par la résistance des hommes. Elle les incite à ne pas perdre de vue leur objectif, car « quelles que soient les barrières qu’on leur oppose », il faut persister dans la lutte.

Le style d’Olympe de Gouges mime l’amplification de ce mouvement avec des impératifs et un lexique martial chargé de mobiliser et d’exhorter les troupes : « opposez courageusement la force de la raison », « réunissez-vous sous les étendards de la philosophie », « déployez toute l’énergie de votre caractère ». Le rythme ternaire donné par les impératifs imite le combat soutenu et constant, et permet d’insister sur sa nécessité.

Pour souligner le caractère inexorable d’une heureuse issue, elle emploie le futur de l’indicatif, mode de la certitude : « et vous verrez », renforcé par l’adverbe « bientôt ». La victoire est donc sûre et elle est proche.

Durant toute la fin de l’extrait, l’auteure condamne le refus masculin de raisonner avec bon sens en utilisant un lexique péjoratif : « s’obstinaient », « faiblesse », « inconséquence » et « orgueilleux », « vaines prétentions de supériorité ». Elle oppose à cela le champ lexical de la sagesse et de la pensée, donnant un caractère philosophique au texte : « mettre …en contradiction », « principes », « raison », « philosophique ». Olympe de Gouges présente l’intelligence comme l’arme essentielle pour obtenir leurs droits.

Mais pour cela, il faut en avoir la volonté. Elle explique aux femmes qu’il n’appartient qu’à elles de décider si elles veulent ou non obtenir l’égalité entre les sexes. L’antithèse « pouvoir » / « vouloir », la tournure impersonnelle « il est en votre pouvoir » et la négation restrictive « ne…que » dans « vous n’avez qu’à le vouloir » vont dans ce sens. Ce n’est pas sans rappeler la formule célèbre d’Étienne de La Boétie dans son Discours de la servitude volontaire : « Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres ». L’auteure a donné aux femmes la clé essentielle pour entamer leur combat. Elle est à présent entre leurs mains.

 

Conclusion

Ainsi, véritable pamphlet utilisant une stratégie persuasive, ce texte virulent appelle les femmes à prendre conscience de leur condition servile puis à se soulever et se battre pour leurs revendications et leurs droits. Dans la suite de ce postambule, Olympe de Gouges poursuit l’analyse et la défense des femmes puis propose des réformes qui reprennent certains articles de la Déclaration qui précède. Il faudra un siècle et demi pour que les femmes obtiennent certains droits fondamentaux. Le combat et les revendications pour l’égalité ne sont pas terminés au XXIe siècle. Néanmoins, Olympe de Gouges, femme courageuse des Lumières, en a été l’initiatrice et en a payé de sa vie. D’autres personnalités poursuivront et élargiront son œuvre pour faire changer les mentalités, telles que Simone de Beauvoir, figure de proue du féminisme.

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