Le Menteur de Corneille, analyse linéaire de l'acte I scène 6

Le Menteur de Corneille, analyse linéaire de l'acte I scène 6

Cliton utilise plusieurs précautions oratoires pour interpeller Dorante sans être trop direct ou offensant. Il commence par une déclaration apparemment respectueuse, "J'appelle rêveries ce qu'en d'autres qu'un maître on nomme menteries," en utilisant le terme "rêveries" au lieu de "menteries". Cette formulation atténue son accusation en la présentant sous un angle plus indulgent. De plus, Cliton exprime son respect pour Dorante, ce qui sert à minimiser l'impact de sa critique.

 

 

Dorante réagit en dénigrant Cliton, le qualifiant de "pauvre esprit". Cette réponse montre son mépris pour les critiques de Cliton et reflète son arrogance. Il refuse de prendre en compte les remarques de son valet, préférant le rabaisser.

 

 

Cliton fait allusion aux mensonges de Dorante concernant ses exploits guerriers et ses connaissances en droit. Dorante prétend avoir participé à des batailles et posséder une grande érudition juridique, mais Cliton met en doute la véracité de ces affirmations en les qualifiant de "concerts" et en mentionnant des festins qui ne coûtent "guères".

 

 

L'ironie dans ces vers réside dans la manière dont Cliton prétend entendre les discours de Dorante sur la guerre et les concerts. En utilisant le mot "ois", il joue sur l'homophonie avec "oie", un animal souvent associé à la bêtise, ce qui suggère que les discours de Dorante sont aussi vains et ridicules que les cris d'une oie. De plus, Cliton parle de festins qui ne coûtent "guères", insinuant que les prétentions de Dorante sont bon marché et sans substance réelle.

 

 

Le mot interrogatif "Pourquoi" qui ouvre le vers 319 a une valeur accusatoire et met Dorante sur la défensive. Il appelle Dorante à justifier ses mensonges, soulignant l'incohérence entre ses actions et ses paroles. Ce questionnement direct force Dorante à expliquer pourquoi il a feint un retour de guerre, révélant ainsi l'absence de vérité dans ses récits.

 

 

La question de Cliton au vers 321 reprend les termes "montrer votre flamme" de la phrase précédente de Dorante. Cette reprise constitue une antanaclase, figure de style où un même mot est répété avec un sens différent. Cliton utilise "flamme" dans le sens de bravoure ou passion, mais implicitement, il questionne l'authenticité de cette bravoure, soulignant ainsi l'artifice des prétentions de Dorante.

 

 

Les substantifs de la réplique de Dorante relèvent principalement des champs lexicaux de la séduction et de l'art oratoire. Il parle de "compliment", "beautés", "cœur", et "universités", évoquant des éléments de charme et de persuasion. Ces termes soulignent l'importance de l'apparence et du discours dans ses efforts pour séduire et convaincre.

 

 

Le terme "flamme" introduit le thème de l'apparence. Il symbolise à la fois la passion et la façade flamboyante que Dorante cherche à afficher pour impressionner et séduire son auditoire. Cette "flamme" est davantage une illusion qu'une réalité tangible.

 

 

Les deux mots qui servent de comparatifs sont "plus" et "moins". Ils font écho à la réalité de la perception et de la réception des discours mensongers de Dorante. Il affirme que les mensonges bien formulés blessent "plus" l'oreille que la vérité maladroitement énoncée et semblent "moins" rares, indiquant que l'artifice est souvent plus convaincant que la sincérité.

 

 

Le rythme de la réplique de Dorante est marqué par une cadence soutenue et rythmée, renforcée par l'utilisation de vers courts et d'exclamations. Cette construction dynamique donne à son discours une allure de confidence passionnée et habilement orchestrée, ce qui accentue son pouvoir de persuasion et de séduction.

 

Dorante répond d'emblée à la question de Cliton pour se justifier rapidement et éviter tout doute sur ses intentions. En affirmant immédiatement la nécessité de séduire pour justifier ses mensonges, il détourne la critique et tente de transformer son manque de sincérité en une qualité nécessaire à son succès social.

 

Le comique de ces vers repose sur l'ironie et l'hyperbole. Dorante exagère l'importance de ses connaissances en droit, mentionnant de manière grandiloquente des ouvrages et des auteurs comme "le Code entier avec les Authentiques" et "le Digeste nouveau". Cette exagération ironique souligne le ridicule de ses prétentions et met en lumière l'absurdité de ses mensonges.

 

 

Ce passage se termine par une série de questions rhétoriques et d'exclamations, renforçant l'effet de théâtralité et d'exaspération. Ces modalités accentuent le comique de la scène en soulignant le désespoir simulé de Dorante face à la crédulité de ses interlocuteurs, tout en mettant en lumière son talent pour l'artifice et la persuasion.

 

Le mot "compliment" rappelle le but du mensonge, car il évoque l'idée de flatterie et de charme pour atteindre un objectif. Le mot "débit", quant à lui, révèle que pour Dorante, le mensonge est un art, car il souligne la maîtrise du discours et de la présentation orale, éléments essentiels dans l'art de tromper et de séduire.

 

 

Selon Dorante, l'efficacité du mensonge repose sur la capacité à étonner et à charmer par le verbe. Il insiste sur l'importance de l'apparence et de la présentation, en faisant admirer des choses banales ("baye") par la manière dont elles sont dites. Cette maîtrise de l'art oratoire permet de passer pour un homme illustre et de gagner la confiance de l'auditoire.

 

La figure de style employée est l'hyperbole. Dorante exagère en affirmant que sans ordre et sans raison, on peut étonner n'importe qui. Cette exagération met en lumière l'absurdité de la crédulité humaine et souligne le pouvoir du mensonge bien formulé. L'effet produit est comique et critique, car il ridiculise à la fois le menteur et ceux qui se laissent berner.

 

Cette tirade donne une image plutôt négative et simpliste des femmes, les présentant comme des êtres facilement impressionnables et dupes des beaux discours. En affirmant qu'il suffit d'un peu de flatterie bien dite pour les charmer, Dorante réduit les femmes à des cibles faciles de la manipulation oratoire. Cette vision reflète les stéréotypes sexistes de l'époque et souligne le mépris sous-jacent de Dorante pour celles qu'il cherche à séduire.

 

Les mots et expressions qui renvoient au discours et à la parole incluent "compliment", "charmer", "universités", "discours", "propos", "débit", et "faire admirer". Ces termes mettent en avant l'importance du langage et de l'éloquence dans l'art de séduire et de convaincre.

 

 

Selon Dorante, les pouvoirs de la parole résident dans sa capacité à transformer la perception de la réalité, à charmer et à convaincre. La parole permet de donner du crédit à des mensonges, de passer pour un homme illustre et de gagner la confiance et l'admiration des autres. La maîtrise de l'art oratoire est donc essentielle pour manipuler et impressionner.

 

Cet éloge est paradoxal car il vante les mérites de la parole non pas pour exprimer la vérité, mais pour tromper et séduire. Dorante admire la capacité du discours à embellir les mensonges et à les faire passer pour des vérités, ce qui va à l'encontre de l'idée traditionnelle selon laquelle la parole doit servir la vérité. Ce paradoxe met en lumière l'habileté de Dorante à manipuler la réalité par le verbe et à utiliser son éloquence à des fins trompeuses.

 

Cliton reconnaît à Dorante une capacité remarquable à manipuler les autres par le discours. Il admet que Dorante sait étonner les gens par ses récits, même s'ils sont sans ordre et sans raison. Cliton reconnaît que son maître excelle dans l'art de faire passer des banalités pour des merveilles grâce à son talent oratoire. Cette reconnaissance, bien que teintée d'ironie, souligne l'habileté de Dorante à convaincre et à séduire par ses mensonges bien formulés.

 

 

Cliton est le spectateur de Dorante dans la mesure où il observe et analyse les techniques de manipulation et de séduction de son maître. Il est conscient des mensonges de Dorante et de la manière dont celui-ci réussit à duper son auditoire. Cliton, tout en étant lucide sur les procédés de Dorante, assiste impuissant aux succès de son maître et aux réactions émerveillées des autres. Il joue ainsi le rôle de témoin critique, souvent en décalage avec l'enthousiasme des dupes de Dorante.

 

 

Le lecteur, bien qu'informé des mensonges de Dorante par le biais des remarques et des observations de Cliton, peut être à la fois amusé et fasciné par l'habileté du personnage. Dorante, par son charisme et son éloquence, peut effectivement séduire le lecteur, qui admire la finesse de son art du mensonge malgré son immoralité. Cependant, la présence de Cliton offre une perspective critique qui rappelle au lecteur la nature trompeuse de Dorante, permettant ainsi une distance critique.

 

 

Le mot "histoire" introduit la menace lorsque Cliton prévient Dorante que cette fois-ci, son interlocutrice pourrait découvrir la vérité. En suggérant que cette femme pourrait bientôt "savoir votre histoire", Cliton souligne le risque que les mensonges de Dorante soient dévoilés et que son talent pour la manipulation trouve ses limites face à quelqu'un capable de discernement.

 

 

Le verbe "savoir" s'oppose au verbe "croire" en ce qu'il implique une connaissance certaine et vérifiée, tandis que "croire" relève de la foi ou de la confiance sans preuve. Dans le contexte de la pièce, ceux qui "croient" aux récits de Dorante sont dupes de ses mensonges, tandis que ceux qui "savent" découvrent la vérité derrière ses artifices. L'opposition entre ces deux verbes souligne le danger pour Dorante si ses interlocuteurs passent de la croyance à la connaissance de ses supercheries.

 

 

L'obstacle annoncé par Cliton se concrétisera effectivement dans la suite de la pièce. Dorante, bien que talentueux dans l'art du mensonge, ne peut indéfiniment tromper tout le monde. Les révélations et les confrontations inévitables avec la vérité mettront en péril ses stratagèmes et son succès auprès des autres personnages. Cette évolution est typique des intrigues comiques où le menteur finit par être démasqué, soulignant ainsi la morale et la justice inhérentes au genre.

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