L'équipage de Joseph Kessel, analyse du chapitre IV de la 1ère partie
Au début du passage, Herbillon se trouve dans un état d'exaltation et de nervosité alors qu'il observe l'animation sur le terrain et les avions qui vibrent. Son état émotionnel est dominé par une intense anticipation et une sorte de fébrilité face à la grandeur du moment et à l'excitation de la mission à venir. Cette exaltation influence sa vision du monde en amplifiant chaque détail, rendant l'expérience presque surréelle. La douce lumière du matin, les moteurs grondants, et la magnificence des avions prennent des dimensions quasi mythiques, transformant la réalité en une scène héroïque où chaque élément semble imprégné de signification et de promesse d'aventure.
L'écriture au début de l'extrait utilise plusieurs éléments stylistiques pour insuffler un souffle épique. Les descriptions comme "la voix monstrueuse des moteurs" et "le ciel avait cette tendresse de fleur" utilisent des métaphores et des personnifications pour magnifier la scène. La ponctuation, avec des phrases longues et cadencées, ajoute à cette grandeur en créant un rythme solennel. Les répétitions et les accumulations, telles que "les mécaniciens chantaient, les hélices bourdonnaient comme ivres de leur puissance", renforcent l'idée d'une symphonie orchestrée par la machine et l'homme. Ces éléments conjugués donnent à l'écriture une dimension épique, transformant l'observation d'Herbillon en une contemplation presque mystique de l'univers aérien.
Pendant le vol, la déception de Herbillon grandit progressivement. Au départ, son exaltation se heurte à une réalité moins glorieuse lorsqu'il ne parvient pas à percevoir la frontière fixe entre les lignes adverses malgré son effort. Cette frustration initiale est exacerbée lorsqu'une secousse brutale interrompt ses tentatives d'observation. L'aspirant, habitué aux jeux aériens de Thélis, ressent une déception palpable en ne voyant rien de concret, excepté des avions d'accompagnement qui disparaissent subitement. La disparition soudaine des autres appareils laisse Herbillon pensif et préoccupé, culminant en une amertume lorsqu'il réalise que le combat tant attendu n'a pas eu lieu, que la mission s'achève sans exploit ni éclat héroïque.
À la fin de l'extrait, le toubib révèle de manière surprenante qu'Herbillon, en tirant lors de l'attaque, a failli toucher l'un de ses propres camarades. Kessel prépare cette révélation en utilisant un retournement burlesque qui contraste fortement avec le ton sérieux et héroïque du début du passage. L'absorption d'Herbillon dans son propre malaise et la honte qui le rouge accentuent le choc de la révélation, tout en plaçant le lecteur dans une position de surprise parallèle. La tension accumulée et l'attente d'un exploit glorieux rendent cette chute d'autant plus inattendue et comique.
Le dialogue final est marqué par des répliques courtes et vives, des interjections et un rythme rapide qui rappellent le dialogue théâtral. Les expressions directes et les interruptions fréquentes, comme "Eh bien, vous êtes content, vous l'avez, votre combat?", ajoutent une dynamique de scène où les personnages se répondent du tac au tac. L'usage de l'humour et de la répartie, combiné à des gestes et des attitudes qui s'expriment à travers les mots, contribue à cette atmosphère théâtrale où les échanges verbaux sont mis en avant.
On peut parler d'un décalage burlesque dans ce passage car il y a une rupture notable entre les attentes héroïques d'Herbillon et la réalité triviale et humiliante de la situation. Le contraste entre la grandeur épique anticipée par Herbillon et le résultat comique et absurde de son action crée un effet burlesque. La révélation qu'il a failli tirer sur un camarade au lieu d'abattre un ennemi, ainsi que la manière dont ses camarades réagissent avec humour et moquerie, soulignent ce décalage. Cette dissonance entre le sérieux du contexte militaire et la trivialité des conséquences de l'action d'Herbillon ajoute une couche de comique inattendu, transformant la scène en une farce involontaire.
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