L'équipage de Joseph Kessel, analyse du chapitre X de la 2ème partie
Thélis ne prend conscience de l'accident que de manière progressive, ce qui est illustré par la description de ses réactions dans le texte. D'abord, Thélis est décrit comme étant arc-bouté dans son siège, puis se levant lentement, émergeant de l'inconscience avec difficulté. Il ressent une masse confuse qui l'écrase, indiquant une désorientation initiale. En se redressant et en essayant de se mouvoir, Thélis réalise peu à peu l'ampleur de l'accident, manifesté par la douleur physique et la perception progressive de son environnement dévasté et de la mort de son camarade. Cette prise de conscience graduelle est renforcée par la description de ses gestes maladroits et de sa marche erratique à travers le champ de bataille.
L'auteur met en valeur la faiblesse physique du capitaine en décrivant ses difficultés à se relever, à marcher et à maintenir sa conscience. Thélis est montré comme physiquement brisé, épuisé, et à peine capable de contrôler ses mouvements, ce qui est accentué par ses trébuchements et son effort pour respirer et bouger. Cependant, sa force morale est soulignée par sa détermination à continuer malgré ses souffrances. Il se relève, persiste à avancer et refuse de succomber à la panique ou au désespoir. Cette résilience intérieure est mise en avant par sa capacité à se concentrer sur ses camarades et à essayer de trouver un sens à la situation, témoignant d'une volonté inébranlable face à l'adversité.
Thélis traverse plusieurs états moraux au cours de l'extrait. Au début, il est dans un état de confusion et de désorientation suite à l'accident, ne comprenant pas immédiatement ce qui s'est passé. Ensuite, il passe à un sentiment de désespoir et de tristesse en réalisant la gravité de la situation et en percevant la mort de son camarade. Cette phase est marquée par une profonde réflexion et une prise de conscience douloureuse. Enfin, Thélis atteint un état de sérénité et de paix intérieure, acceptant son sort avec une certaine grâce. Il ressent une connexion transcendante avec la nature et le cosmos, suggérant une réconciliation spirituelle avec sa condition et son destin.
La mort de Thélis symbolise un retour à la terre-mère, ce qui est suggéré par plusieurs détails dans le texte. Lorsque Thélis tombe et s’étend sur le sol, l’auteur décrit comment il sent la fraîcheur de la rosée et le ruissellement qui chauffe ses hanches, créant une image de retour à la nature. De plus, la description du matin qui s’anime et des sons naturels, comme le chant des cloches et les voix humaines, renforce cette idée d’un retour apaisant à l’origine. Enfin, l'évocation de la terre et du ciel qui se dissolvent dans un fluide espace alors qu'il sent son existence prendre fin, souligne un retour symbolique et spirituel à la terre-mère, marquant une réintégration dans le cycle naturel.
Plusieurs éléments du texte confirment le portrait de Thélis comme "un être ardent, qui transmettait le feu qui le brûlait". Sa détermination à se lever et à marcher malgré ses blessures physiques témoigne de son énergie intérieure inextinguible. La description de son cœur qui "bruit en lui comme un insecte frêle" et son effort pour continuer à avancer malgré la douleur montrent cette passion et cette flamme intérieure. Même dans la mort, Thélis reste une figure vibrante et pleine de vie, comme en témoigne l’impact durable qu’il laisse sur ses camarades, qui ressentent la perte de "un lambeau très cher, très pur et très noble de leur jeunesse". Cela montre que le feu intérieur de Thélis continue de brûler dans la mémoire et le cœur de ceux qu’il a laissés derrière lui.
On peut parler d’une fusion finale de Thélis avec la nature et le cosmos en raison des descriptions poétiques et spirituelles qui marquent ses derniers moments. Alors qu’il s’étend sur le sol, Thélis ressent une connexion profonde avec la terre et les éléments naturels, comme le ruissellement de l’eau et la fraîcheur de la rosée. La progression de la scène où le matin s’anime, les sons de la nature et les cloches qui accueillent son âme, renforce cette idée de fusion. Enfin, l’image de son existence se dissolvant dans un espace fluide, et les voix humaines saluant son âme libérée, symbolise une réintégration dans le grand tout cosmique, transcendant les limites de la vie physique.
Les circonstances de la mort de Thélis sont profondément en accord avec son tempérament ardent et passionné. Même après l’accident, il manifeste une détermination inébranlable à se relever et à marcher, illustrant sa résilience et son refus d’abandonner. La manière dont il ressent chaque sensation, du bruissement de son cœur à la douceur de la rosée, montre sa sensibilité et sa connexion intense avec son environnement. Sa mort, empreinte de sérénité et de transcendance, reflète sa nature héroïque et son esprit combatif, fusionnant avec la nature dans une fin poétique qui honore son caractère indomptable.
L’auteur cherche à provoquer des émotions de tristesse, d’admiration et de paix chez le lecteur. Il y parvient grâce à une narration poignante et évocatrice. Le point de vue omniscient permet de plonger profondément dans les pensées et les sentiments de Thélis, créant une connexion intime avec le personnage. Les figures de style, telles que les métaphores et les descriptions lyriques, intensifient les émotions ressenties. Par exemple, la description de la marche hallucinée de Thélis à travers le champ, et le chant des cloches qui accueillent son âme, ajoutent une dimension poétique et émotionnelle. Le rythme du récit, alternant entre des moments de tension et de calme, guide le lecteur à travers un voyage émotionnel complexe, culminant en une sensation de paix et de respect pour le héros.
L’écriture de Kessel confère à Thélis une forme d’immortalité par sa capacité à capturer et à célébrer la grandeur de son esprit et de ses actions. En décrivant ses derniers moments avec une telle intensité et une telle beauté poétique, Kessel immortalise l’essence de Thélis, transformant sa mort en un événement héroïque et transcendental. Les images vivides et les sentiments profonds exprimés dans le texte font de Thélis une figure éternelle dans l’esprit du lecteur. La manière dont ses camarades ressentent sa perte, comme un "lambeau très cher, très pur et très noble de leur jeunesse", assure que son souvenir perdurera, conférant ainsi à Thélis une immortalité littéraire et spirituelle.
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