La Place d'Annie Ernaux, étude linéaire du souvenir lié au langage
La narratrice porte un jugement critique sur les gens qui « apprécient » le patois, les considérant comme déconnectés de la réalité de ceux qui le parlent. Elle mentionne que certaines personnes, comme Proust, trouvent le patois pittoresque et amusant, mais pour son père et elle, cette langue représente un stigmate social. L'appréciation du patois par les élites littéraires semble, aux yeux de la narratrice, superficielle et condescendante, car elle ne tient pas compte des connotations négatives et de l'infériorité ressentie par ceux qui le parlent.
Cette langue représente un héritage douloureux pour la narratrice et son père car elle est associée à des sentiments d'infériorité et de honte. Le père de la narratrice considère le patois comme quelque chose de vieux et de laid, un signe de leur position sociale inférieure. Sa fierté d’avoir réussi à s’en débarrasser, même si son français n’est pas parfait, souligne l’importance de cette transition linguistique pour se sentir accepté et respecté dans une société qui valorise le français « correct ».
Dans la société, l’utilisation du patois produit un effet de marginalisation et de stigmatisation sociale. Ceux qui parlent le patois sont perçus comme appartenant à une classe inférieure et sont souvent regardés avec mépris ou condescendance. Cette marginalisation linguistique renforce les barrières sociales, maintenant les locuteurs de patois dans une position de subordination par rapport aux locuteurs de français standard.
Le père ressent un mélange de satisfaction et d’ironie lorsque des gens « haut placés » utilisent des expressions du pays, car cela lui donne l’illusion d’une communauté de langage et d’une égalité sociale. Cependant, il est également conscient que cela ne réduit en rien son propre sentiment d’infériorité linguistique. Les indices montrant que l’usage du français lui apparaît comme une contrainte incluent sa persistance à répéter les phrases mal exprimées avec satisfaction et son incapacité à croire que les gens puissent parler « bien » naturellement. Cette méfiance envers un langage correct révèle la pression constante qu’il ressent pour se conformer linguistiquement.
Le langage devient une barrière sociale pour le père car il est un marqueur de classe et de statut social. Le père ressent une forte pression à bien s’exprimer pour être respecté et accepté. Sa peur de dire un mot de travers ou d'utiliser une expression incorrecte témoigne de cette barrière linguistique. Il évite les conversations complexes et s’interrompt souvent par crainte de commettre une erreur, ce qui limite ses interactions et sa participation sociale.
En présence de gens qui s’expriment en un français « correct », le père éprouve un mélange d’admiration et de frustration. Il admire ceux qui parlent bien, mais se sent inférieur et mal à l’aise, ce qui se traduit par son besoin constant de précaution dans ses propres paroles. La narratrice rend compte de ses émotions en décrivant sa manière de se taire ou de demander aux autres de continuer la conversation pour lui, révélant ainsi son insécurité linguistique.
L’opposition entre le père et la mère de la narratrice se manifeste dans leur approche du langage. La mère, qui ose expérimenter et employer un vocabulaire évolué malgré les risques d'incertitude, contraste avec le père, qui préfère rester dans un langage simple et sûr pour éviter toute erreur. Cette différence souligne l’attitude conservatrice et prudente du père par rapport à la curiosité et l’ouverture d’esprit de la mère.
La narratrice emploie l'image de « se jeter dans le vide » pour décrire son angoisse face à sa manière de s’exprimer. Cette métaphore souligne la peur intense et l’insécurité qu’elle ressent lorsqu’elle tente de parler correctement, craignant constamment les reproches et les corrections.
On comprend qu’elle est confrontée à un double langage par les descriptions de ses difficultés à naviguer entre le français parlé à la maison et celui attendu à l'école. Cette situation génère une tension constante et un sentiment de ne jamais être à sa place linguistiquement, ce qui se traduit par des moments de honte et de frustration. Le conflit entre ces deux mondes linguistiques crée une barrière supplémentaire pour son intégration et son estime de soi.
Les expressions entre guillemets, telles que « se parterrer » ou « quart moins d’onze heures », symbolisent les erreurs linguistiques et les déformations du langage que la narratrice et son père commettent. Ces expressions incarnent les malentendus et les maladresses qui renforcent le sentiment d’infériorité et d’exclusion.
La douleur engendrée par la parole est mise en avant à travers les descriptions des chicanes et des rancœurs que la narratrice associe au langage. Les corrections constantes et la peur de parler mal créent un climat de tension et de souffrance. La colère du père lorsqu'il est repris et les larmes de la narratrice quand elle est corrigée soulignent l’impact émotionnel profond de cette pression linguistique, montrant comment la maîtrise du langage devient un fardeau lourd à porter.
Dans cet extrait de "La Place", Annie Ernaux explore le langage comme marqueur social et source de souffrance. Elle illustre comment le patois, perçu de manière condescendante par les élites, représente un stigmate d'infériorité pour son père. Le français correct devient une barrière sociale difficile à surmonter, créant des tensions et des sentiments de honte. En décrivant ses propres souvenirs douloureux liés au langage, Ernaux montre l'impact profond de cette lutte linguistique sur son identité et ses relations familiales. Cette analyse souligne l'importance du langage dans la construction de l’estime de soi et des dynamiques sociales.
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